Publié le Jeudi 18 juillet 2024 à 12h00.

Crise de régime : le capital au-dessus d’un volcan

Il est des destins qui s’accomplissent malgré soi. Ainsi, Bruno Le Maire, ancien ministre de l’Économie et des Finances, fustigé pour l’explosion du déficit public en 2024, en dépit de nombreuses coupes qu’il a lui-même orchestrées, ne se voyait pas quitter Bercy de sitôt. Le voilà pourtant bien obligé de quitter le gouvernement…

 

Dans une tribune parue dans le Figaro le 11 juillet, Bruno Le Maire alertait contre toute tentative d’augmenter les impôts ou de « laisser filer la dette ». «Ce serait tout simplement un naufrage économique et financier pour la France »

Évidemment, il n’est pas le seul à prédire des pluies de grenouilles en cas de gouvernement par le Nouveau Front populaire. Encore moins le seul à tout faire pour empêcher l’application du programme du NFP en essayant d’aspirer vers le centre politique et le bloc macronien, les députéEs du Parti socialiste les plus enclins au compromis, entendez par là la mise de côté des mesures d’urgence les plus « radicales » du NFP. L’instabilité politique, c’est aussi le chaos économique.

Conflits d’intérêts et crise de régime

La crise de régime, créée par la dissolution de l’Assemblée nationale, la menace de voir le RN majoritaire au Palais Bourbon et par la perspective d’une possible cohabitation de Jupiter avec l’extrême droite, n’est pas un phénomène isolé.

Derrière la crise de régime, il y a la crise du système économique dans laquelle la conflictualité des forces sociales aux intérêts sociaux antagonistes se renforce. Incapable de répondre à l’urgence climatique puisqu’il faudrait remettre en cause le modèle productiviste et extractiviste, le capitalisme se révèle également incapable d’écouler ses marchandises sur une planète mal en point où les grandes richesses côtoient la pauvreté, la guerre, le déclassement. Il doit pour continuer à engranger des profits exploiter davantage les travailleurEs.

Ceux-ci, confrontés aux promesses déçues et faux besoins du capitalisme, peuvent nourrir un ressentiment et une résignation grandissantes, en appeler à l’ordre et à un État fort et exprimer un racisme de plus en plus décomplexé sans remettre en cause la répartition des richesses en faveur du capital. Ou au contraire, aspirer à des solutions économiques et politiques égalitaires, redistributives et émancipatrices ! Le monde se polarise et le bloc bourgeois se retrouve avec une faible base sociale.

Le capital a besoin d’un État fort

Si le scénario d’un État plus autoritaire, voire néofasciste vient d’être écarté en France, il continue de menacer et sévit ailleurs, en Italie, en Argentine, en Hongrie et peut-être demain aux États-Unis. 

Car, à travers le monde, le capital a bénéficié depuis au moins quinze ans et la crise de 2008 de l’aide de l’État. David Harvey l’explique : « Au lieu d’aider les populations, l’État soutient désormais les entreprises par tous les moyens possibles, arrangements fiscaux, subventions directes, en fournissant des infrastructures ou en levant des réglementations trop contraignantes. Pour en arriver là, il faut un État fort »1

Autant dire que la situation institutionnelle de la France est intenable pour la bourgeoisie, confrontée à trois blocs politiques à l’Assemblée, dont le plus homogène est celui du RN. Un atout dans la cacophonie ambiante pour tous ceux qui veulent de l’ordre… et un État au service du capital.

Des querelles de clocher ?

Les économistes s’affrontent sur le smic à 1 600 euros pour savoir si la mesure sera destructive ou constructive, au point que le Monde nous indique qu’il s’agit d’« une querelle difficile à trancher ». La question n’est ni totalement scientifique ou arithmétique ni seulement idéologique. Elle est d’abord et avant tout politique, et ce n’est donc pas pour rien que ce sont les ministres et les plus hautes instances de l’État, comme la Cour des comptes, qui montent au créneau.

Le 15 juillet, Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes, mettait en garde sur l’état des comptes publics en présentant un « coup de frein » sur les dépenses comme une « ardente obligation ». En ajoutant, « ce n’est ni de gauche ni de droite : c’est d’intérêt général ! »

Ainsi donc, après avoir subventionné pendant des années le système capitaliste et les profits des très grandes entreprises, asséché les services publics, porté atteinte aux libertés publiques comme jamais et à la réglementation écologique, les tenants de l’ordre capitaliste chaotique, nous demandent de continuer… au nom de l’intérêt général ! Sans nous !

  • 1. David Harvey, Chroniques anticapitalistes, Zulma essais, 2023.