Les forums anticapitalistes, dont le NPA est une des forces initiatrices, s’inscrivent dans une analyse de la conjoncture politique comme une phase intermédiaire dans laquelle les révolutionnaires ont pour responsabilité de contribuer aux maturations de la conscience.
Notre analyse de la conjoncture, un an après l’élection présidentielle, reste celle du tableau mis en lumière par l’élection, celui d’une situation marquée par trois pôles : un mouvement ouvrier dont les directions se renouvellent, un courant de droite radicale et sous influence fasciste, et un centre instable et fragile. Cette faiblesse du pouvoir central s’est confirmée avec le mouvement sur les retraites, qui l’a mis en grande difficulté. Le mouvement ouvrier a montré ses capacités de reconstruction et de mobilisation. Le pôle réactionnaire maintient son influence comme le montrent à la fois les sondages très favorables au Rassemblement national, l’action maintenant régulière de groupes fascistes et les actions de plus en plus violentes de l’appareil d’État par la répression policière contre les mouvements sociaux, notamment écologistes dans la dernière période.
Dans les élections présidentielle et législatives et, sous une autre forme, dans le mouvement pour les retraites dominé par une intersyndicale on ne peut plus large, se sont confirmées l’aspiration du prolétariat à l’unité la plus forte et la volonté que toute orientation radicale s’exprime dans le cadre de cette unité. Hors de cette unité, c’est l’isolement, la discussion sur la stratégie de renversement du système ou sur les questions d’orientation dans le mouvement est perçue comme subordonnée à l’unité.
Une réorientation nécessaire
Le NPA a dû se réorienter pour répondre à cette aspiration incontournable qui correspond à une période de reconstruction de la conscience sous le coup des attaques de la classe dominante. Par les conflits qui s’aiguisent de plus en plus, le prolétariat se reforme en tant que classe consciente de ses intérêts et, dans ce processus, la recherche de l’unité joue un rôle moteur et décisif.
Y contribuer plus fortement – tout en continuant à défendre une stratégie révolutionnaire et pour l’auto-organisation – était incompatible avec l’orientation des fractions fondées sur l’auto-construction et sur des démarcations identitaires. En revanche, nous avons trouvé des alliéEs : dès les législatives, nous avons commencé à discuter avec les secteurs issus des quartiers populaires dans le collectif On s’en mêle, avec des franges de la NUPES ou de La France insoumise qui n’acceptent pas l’orientation antidémocratique, antiféministe, nationaliste et pro-État de la direction, et notre orientation dans les élections législatives a été perçue d’un bon œil par les franges qui exprimaient leurs aspirations par le « Mélenchon dans les urnes, Poutou dans la rue ».
Pendant le mouvement sur les retraites, cette logique s’est poursuivie, car les militantEs ont été contraintEs d’accepter le cadre de l’intersyndicale, avec ses journées saute-mouton, ses appels ambivalents à l’élargissement de la grève et au blocage du pays. Nous avons tenté, dans ce contexte, de défendre une orientation plus radicale, pour la grève générale, pour une grève politique et pour l’auto-organisation, notamment dans le cadre des fragiles structures interprofessionnelles. Et nous y avons retrouvé des alliéEs: des centaines de syndicalistes attachéEs à l’unité, y contribuant au niveau local, mais défendant une orientation plus radicale, indépendante des stratégies parlementaires, et tentant d’entraîner leurs collègues dans des cadres d’auto-organisation, même embryonnaires.
Dans les mobilisations féministes se sont exprimés les mêmes aspirations : une recherche de l’unité, alliée à la défense d’une orientation indépendante des appareils sur les violences faites aux femmes, notamment à l’intérieur des organisations. Et dans le mouvement écologiste, de Sainte-Soline au Lyon-Turin, des éléments semblables sont en gestation, pour garantir une unité permettant de se défendre contre l’État policier, combinée à une orientation radicale.
Enfin, la question militaire pose la nécessité d’une démarcation avec les directions réformistes. Au sujet de l’Ukraine en particulier, où le positionnement de Mélenchon s’oppose au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et accompagne l’impérialisme. Mais aussi sur le positionnement vis-à-vis des capacités militaires de la France et de sa place dans les rapports de forces internationaux.
Plus que jamais, unitaires et révolutionnaires
La conclusion générale que nous en tirons est la nécessité de construire une force ouverte, prête à contribuer fortement à l’unité du prolétariat et donc de ses organisations, tout en conservant une stratégie révolutionnaire indépendante, qui trouve un écho auprès de toutes celles et ceux qui ont déjà compris qu’entre crise économique et climatique, le capitalisme nous mène au désastre à brève échéance et qu’il faut l’affronter.
Les forums anticapitalistes autour de l’appel « Organisons-nous pour construire l’alternative »1 visent à concrétiser cette orientation générale, à tenter d’y associer largement, à tenter un petit saut dans l’organisation des secteurs des classes populaires favorables à cette politique. Le forum est à l’initiative du NPA, du collectif Rejoignons-nous et de Ensemble !, mais l’objectif est essentiellement de s’adresser à des militantEs qui ne sont pas organiséEs politiquement actuellement.
Plusieurs discussions ont lieu dans la préparation de ce forum organisé par des forces variées et des personnalités ayant chacune leur histoire. Le NPA entend prendre sa part, défendre son point de vue, et l’objet de ce texte est de résumer les éléments que nous souhaitons proposer.
1) À qui on s’adresse : on s’adresse à celles et ceux qui militent actuellement, qui veulent un outil politique, mais qui ne font pas le pas d’entrer au NPA parce qu’elles et ils ont l’espoir d’une organisation qualitativement plus large que celui-ci, en termes numériques mais aussi pour ne pas en assumer l’histoire, les choix tactiques passés et les débats internes difficiles. Une priorité est de construire dans les entreprises, dans les quartiers populaires, dans la jeunesse, et dans tous les secteurs militants sur le terrain. D’un certain point de vue, il s’agit là de renouer avec la démarche de fondation du NPA.
2) Quelles délimitations politiques : nous voulons une organisation qui s’appuie sur une base stratégique solide, nécessaire pour que les questions tactiques puissent être envisagées avec souplesse. L’appel parle d’une organisation qui lutte pour la rupture et la transformation révolutionnaires de la société. Nous voulons abattre le capitalisme, et rompre avec l’État bourgeois, la propriété privée, pour construire une société écosocialiste, basée sur l’autogestion. Mais nous voulons également une organisation qui intègre les combats politiques intervenus ces dernières décennies sur le féminisme, avec la vague MeToo notamment, les luttes LGBTI contre une vision genrée de la société, et une orientation décoloniale, pour des modifications profondes des organisations à même de fusionner avec les aspirations militantes des couches opprimées de la société, qui ont toujours été marginalisées dans les organisations du mouvement ouvrier.
3) Quel type d’organisation : nous voulons un parti, c’est-à-dire une organisation capable de mener des campagnes et d’avoir une cohérence politique, pas un simple réseau où chaque préoccupation s’exprime sans cohérence d’ensemble, pas non plus une somme de groupes dont les orientations sont incohérentes, voire opposées. Nous voulons une organisation militante, dont l’objectif est d’agir sur le terrain, de modifier les rapports de forces, dans les luttes. Nous voulons en même temps une organisation qui garantit la liberté individuelle et collective, le libre débat interne.
4) Faire face aux problèmes politiques clés : enfin, il faut se poser le problème du rapport aux autres partis et des relations à tisser avec eux pour permettre de contribuer à la reconstruction du mouvement ouvrier tout en conservant une indépendance. Le NPA a toujours été à l’offensive pour toute démarche unitaire liée à des mobilisations, des marées populaires de 2018 aux différents collectifs de soutien aux luttes. Sur la base du bilan de l’élection présidentielle 2022, il a été favorable à des listes unitaires aux élections législatives – après des campagnes communes aux élections régionales en Occitanie et en Nouvelle Aquitaine l’année précédente – à condition que les bases marquent une rupture nette avec le social-libéralisme. Pour les élections européennes, la question se pose de nouveau.
La pratique tranchera les possibilités de construire une nouvelle organisation
Il n’y a pas de garantie que ces éléments, abordés dans les forums anticapitalistes, aboutiront à la construction d’une nouvelle organisation. En effet, il n’est pas évident, dans la situation de fracturation actuelle de la gauche révolutionnaire et de la gauche en général, de recul du rapport de forces, que des fusions politiques soient possibles. Les pratiques militantes des groupes qui travaillent aux forums sont en effet très différentes et chacun est relativement prisonnier de ses habitudes militantes. Chaque structure produit des appareils, représentant une identité politique et qui, de ce fait, ont intérêt à leur auto-conservation, à la gestion d’un espace, avec plus ou moins de succès : se lancer dans la construction d’une nouvelle organisation présente des risques. La limite entre prudence et conservatisme n’est pas simple à percevoir.
Pour bousculer ces habitudes et avoir la capacité de s’associer avec des militantEs de différentes origines, il faut combiner discussions politiques et pratique militante. S’avancer vers la formule classique de chercher « une compréhension commune de la situation et des tâches ».
Nous avons parlé plus haut des débats politiques qui semblent nécessaires dans la période. Concernant les aspects pratiques, il semble pertinent de travailler à des campagnes communes à la rentrée. Il y a déjà un accord pour organiser des forums locaux en septembre et octobre, avec en perspective un nouveau forum national en novembre. L’objectif est de donner l’initiative à la base, avec des rencontres ouvertes, publiques, permettant des discussions variées. Mais, surtout dans une situation difficile, il faudra que ces collectifs puissent s’appuyer sur une élaboration collective et sur du matériel national commun, qu’ils soient capables de lier leurs discussions avec une action déterminée dans les luttes sociales. On peut imaginer alimenter les groupes locaux sur les thématiques qui nous paraissent pertinentes pour cette rentrée.
Des campagnes militantes
La première action à mener partirait sans doute de la crise économique qui s’approfondit. L’inflation est galopante dans de nombreux pays (5,6 % pour la France selon la Banque de France, au moins 8 % en Italie…) tandis que la récession se profile. Elle est actée en Allemagne, et s’approche de la France où la croissance serait limitée 0,2 % en 2023. Ce n’est pas par hasard si une série de mobilisations ont lieu sur les salaires, à Vertbaudet, Disneyland, Ikea, etc. Il nous faudra donc défendre ce type de revendications : l’augmentation des revenus, l’indexation sur les prix, la saisie des banques, l’annulation de la dette, etc.
Un deuxième axe nécessaire est celui de l’écologie, face aux politiques répressives qui interdisent les manifestations et dissolvent les Soulèvements de la Terre, font crever les migrantEs dans la Méditerranée alors qu’on annonce maintenant + 4° C d’ici 2100.
Un troisième axe est celui des attaques racistes, qu’il s’agisse des lois Darmanin, du scandale de l’absence d’accueil des migrantEs ou de la montée de l’extrême droite.
Il faudra aussi continuer à développer la solidarité avec le peuple ukrainien, et préparer les manifestations féministes, pour le droit à l’IVG et contre les violences faites aux femmes.
Globalement, nous devons continuer le combat politique contre Macron et la Ve République, continuer à l’affaiblir pour le dégager avant 2027, par la lutte. Sinon c’est l’extrême droite qui risque de tirer son épingle du jeu en apparaissant comme la force capable d’incarner une colère sans espoir.
Sans compter que nous serons percutéEs assez rapidement par les élections européennes prévues en 2024, et que toutes les organisations discutent déjà. Il sera probablement pertinent de proposer, dans le contexte actuel, des listes communes des forces qui veulent exprimer la nécessité d’une rupture avec les institutions européennes, tout en menant une politique internationaliste et en faisant le lien avec la mobilisation sur les retraites. L’éclatement probable de la NUPES dans cette élection va permettre à l’extrême droite de se positionner comme première force dans le pays, et d’attirer la colère contre Macron. Mais, d’un autre côté, une clarification des rapports aux institutions européennes, par rapport à la gauche qui gère loyalement les affaires de la bourgeoisie en liant les orientations d’État aux politiques libérales européennes, est possible et peut permettre l’expression d’une certaine radicalité dans cette élection. Tout cela est tactique : l’orientation électorale doit être subordonnée à la possibilité de défendre une orientation indépendante, combinant unité et délimitation stratégique, et au travail consistant à construire un intellectuel collectif, des bases militantes et programmatiques pour tenter de construire une nouvelle organisation.
La phase que nous vivons actuellement est une période de réorganisation du mouvement ouvrier. Sur le plan objectif, les classes évoluent, parce que les statuts des salariéEs sont percutés, comme leurs revenus et leur place dans les rapports de production. Et sur le plan subjectif, cela entraîne des modifications de la conscience d’appartenir à une classe, des points de vue qui se modifient également dans l’appréciation des institutions, des questions démocratiques, de la nécessité de la lutte.
Le rôle des révolutionnaires est d’intervenir dans ces évolutions. Pas en proposant toujours les mêmes recettes, quelle que soit leur qualité, auxquelles on proposerait de se relier, mais en se liant aux secteurs qui se mettent en mouvement et veulent s’organiser. Cela nécessite de se proposer comme outil, de susciter son propre dépassement pour reconstruire un espoir révolutionnaire dans un monde en faillite.