Avec 18 % des voix au premier tour, un entre-deux-tours d’une incroyable démagogie raciste et réactionnaire, et Sarkozy finalement battu, Marine Le Pen se frotte les mains et se proclame « chef de l’opposition ».
Un chiffre a marqué les esprits : alors que le FN raillait Sarkozy en lui proposant une perruque blonde pour parfaire sa panoplie de vrai faux candidat de l’extrême droite, alors que Marine Le Pen annonçait qu’elle irait personnellement voter blanc, le total des bulletins blancs et nuls (2,146 millions) a dépassé de plus d’un million l’écart de voix entre Sarkozy et Hollande (1,135 million). C’est le résultat de bien d’autres choses que cette « consigne » frontiste (à commencer l’absence d’attente populaire à l’égard du PS), mais il fait sentir encore un peu plus à l’UMP le pouvoir de nuisance du FN.
Et déjà, aux législatives. En 1997, le FN (avec 15 % des voix) avait joué un rôle essentiel dans la défaite de la droite, en se maintenant au second tour dans 133 circonscriptions. Qu’en sera-t-il le 10 juin prochain ? Au premier tour de la présidentielle, le FN a dépassé les 12,5 % des inscrits (la barre nécessaire pour se maintenir au second tour dans des législatives) dans 353 circonscriptions sur un total de 577. Il a même obtenu plus de 20 % des voix dans 206. Même s’il y a un ressac des voix de l’extrême-droite aux législatives, et davantage d’abstention donc un plus grand nombre de voix requis pour se maintenir, les candidats UMP peuvent avoir la trouille...
Le FN accentue donc la pression sur l’UMP. Il a annoncé que ses candidats se maintiendraient en cas de triangulaires avec le PS et l’UMP, et ne « choisiraient pas » en cas de duels UMP-PS. Bruno Gollnisch a confirmé l’existence d’une « liste noire de personnalités [de l’UMP] qui ont déclaré explicitement qu’elles préféraient un candidat socialo-communiste au Front national ». Et il a cité des gens fort suspects, effectivement, de complaisance gauchiste : Nathalie Kosciusko-Morizet, Claude Guéant et Jean-François Copé !
L’objectif du FN est de faire éclater l’UMP, pour imposer une recomposition politique dont il serait le centre ou l’un des grands pôles. Cela n’a rien d’impossible. Déjà, des députés UMP réclament d’aller au bout de la campagne hyper-droitière de Sarkozy. Quitte à dire presque la même chose sur l’immigration « incontrôlée », les chômeurs « assistés », les fonctionnaires « paresseux » et les syndicats « anti-France », pourquoi ne pas faire alliance, puisque le grand chef lui-même a dit que le FN est « compatible avec la République » ?
Et puis cela ne s’est-il pas fait ailleurs en Europe ? Dans l’Italie de Berlusconi, par exemple, où la Ligue du Nord se désolidarisait de la réforme des retraites, se taisait sur l’exemption massive d’impôts des riches et la strangulation financière des services publics, se consolait par des réformes crapuleuses anti-immigrés, et chauffait à blanc l’opinion en proposant d’autoriser la marine à tirer au canon sur les embarcations de migrants clandestins. C’est la politique d’austérité d’un gouvernement de centre-gauche qui avait ouvert la voie à la victoire de cette coalition du milliardaire banga-banga et des petits blancs racistes.
Yann Cezard