La première zone de sécurité prioritaire (ZSP) vient d’être inaugurée par Manuel Valls. Quinze autres doivent être mises en place d’ici fin 2012 (dont 3 en Guyane ! ) ; une cinquantaine devraient suivre en 2013.Fidèle à une rhétorique bien rodée, le ministre a expliqué : « Je suis là pour donner un signe. Celui de la présence de l’État auprès des citoyens les plus fragiles ». Il n’est pas certain que l’avis de ces derniers ait été vraiment demandé. Les chômeurs et les précaires n’auraient-ils pas préféré que la notion de sécurité englobe la sécurité de l’emploi ? Et qu’en pensent les millions de victimes des programmes d’austérité, plus que jamais fragilisés ? Ont-ils vraiment de quoi se satisfaire de la « politique de sécurité enracinée dans le concret » prônée par Manuel Superflic ? Quant aux Rroms et aux sans-papiers, imagine-t-on qu’ils éprouvent, par les temps qui courent, un sentiment de sécurité ? On peut gager que, faute de se voir octroyée la citoyenneté, ils ressentent d’une toute autre manière « la présence de l’État » !La personnalité parfaitement adaptée au poste qu’il occupe de l’actuel ministre de l’Intérieur ne doit pas focaliser l’attention. Les relations de la Gauche de gouvernement avec la notion de « sécurité » ont une histoire. Régulièrement taxée d’angélisme ou de laxisme, pour l’accent qu’elle mettait sur les politiques de prévention, par une droite qui a toujours fait du thème de « la loi et l’ordre » son fonds de commerce, c’est sous l’égide de Lionel Jospin, dont Valls est l’émule, qu’elle décide d’assumer une politique prétendant prendre au sérieux sans faux fuyant les questions dites de sécurité. Pour combattre la droite, mais aussi l’extrême-droite, en période de crise, elle choisissait ainsi de venir sur leur terrain, sans état d’âme.Mais ce n’était pas là pour autant une révision déchirante de ses principes. Il ne s’agissait en somme que de reprendre le fil de la tradition républicaine, celle qui offre aux possédants une assurance tous risques contre les ressentiments et les visées des « classes dangereuses », ces classes populaires représentées sous des masques successifs toujours aussi effrayants et dont la figure dominante est aujourd’hui celle du jeune de banlieue, de préférence musulman, terroriste sur les bords. Car, depuis l’écrasement de la Commune, sous les décombres de laquelle la République s’était construite, Gauche et Droite s’entendent fort bien à maintenir le cap du maintien rigoureux, quoi qu’il doive en coûter, de l’ordre social. Et pour donner à cette orientation une touche populaire, il suffit d’un tour de passe-passe consistant à rappeler à chacun qu’il possède bien quelque chose qu’il a intérêt à protéger… ou faire protéger.Prendre le symptôme que représenterait la montée de la violence, bien difficile à évaluer objectivement au demeurant, pour le mal qui justifierait un accroissement de la présence policière dans les quartiers populaires (« des territoires bien ciblés, caractérisés par une délinquance enracinée ») relève de l’entourloupe. Cela revient à entretenir la confusion entre protection des « plus fragiles » et défense du droit de propriété, dans son principe inaliénable. La police est censée assurer la protection de ceux à qui un système implacable n’a pas laissé grand-chose. Il ne faut pas perdre de vue que les gouvernements de la République, de gauche ou de droite, n’hésitent pas à mobiliser cette même police contre des mouvements sociaux présentés comme une menace contre les personnes et les biens.Si, d’aventure, celui-ci éprouvait un jour la même tentation, il faudrait qu’il nous trouve sur son chemin.
Crédit Photo
Photothèque Rouge/Milo