Après deux ans d’atermoiements de l’exécutif, les députés ont adopté mardi 3 juin la loi sur « la prévention de la récidive et l’individualisation des peines"».
La ligne plus sécuritaire d’un Valls, alors ministre de l’Intérieur, avait déjà gagné à l’été 2013, et aujourd’hui, tétanisé par le climat politique délétère et l’obsession sécuritaire, le président de la République, aux abois, a une nouvelle fois recadré Taubira. Rien de bien neuf...Sa loi est une loi globalement dans la continuité de celles de la droite quand elle était au gouvernement, un dispositif de plus dans une justice dure aux plus pauvres. Hormis l’abrogation d’une mesure sécuritaire de l’ère Sarkozy et l’inscription d’un principe constitutionnel dans le droit pénal, c’est la continuité assumée. Les peines plancher mises en place sous la présidence Sarkozy sont effectivement supprimées, et les sorties dites sèches, les plus nombreuses pour les courtes peines, sans aucun accompagnement ou préparation à la sortie de prison, ne devraient plus être possibles. Il y a aussi beaucoup de bruit, à gauche pour vanter l’avancée et à droite pour crier au laxisme, autour de l’individualisation des peines. Cette mesure, qui consiste à examiner les circonstances de l’infraction et la personnalité de l’auteur, ainsi que sa situation matérielle, familiale et sociale, est un principe constitutionnel depuis 2005. La seule nouveauté est donc aujourd’hui son inscription dans le code pénal.
Renforcement d’une justice contre les pauvresTous les délits créés entre 2002 et 2012 sont maintenus. Ce sont essentiellement les incivilités : occupation de halls d’immeuble, refus de présenter ses papiers (parfois pour la cinquième fois de la journée !), rébellion... Et la consommation de stupéfiants reste un délit. La fameuse contrainte pénale, c’est-à-dire le fait d’accomplir sa peine hors les murs de la prison, reprend les interdits, les obligations et les procédures déjà existantes, comme le sursis avec mise à l’épreuve, la semi-liberté, le port du bracelet électronique… La seule vraie nouveauté consistait à la rendre possible pour tous les délits. Mais Taubira est revenue en arrière, puisque cette possibilité ne sera pas donnée à ceux qui auront des peines au-delà de 5 ans. Les tribunaux correctionnels pour mineurs, qui jugent depuis 2011 en adultes celles et ceux qui sont encore enfants ou ados, sont maintenus. Ils cassent de fait la spécificité de la justice des mineurs qui développe des accompagnements éducatifs de qualité pour résoudre les difficultés. L’ensemble de ce premier groupe de mesures signifie que la surpopulation carcérale va continuer : elle est en moyenne de 116 %, et plus de 1 000 personnes chaque nuit dorment sur un matelas posé sur le sol... Cela signifie que les condamnés pour de petits délits à de courtes peines vont continuer à « sous-vivre » en prison. Ils sont la grande majorité : 73 % des peines sont des peines de moins de 5 ans.
Deux atteintes majeures contre les libertésLa rétention de sûreté, c’est-à-dire le fait que des personnes restent en prison après avoir purgé leur peine, est maintenue. Hollande candidat affirmait pourtant que c’était une rupture de l’État de droit... Les CLSPD (conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance) présidés par le maire et le préfet, où siègent également des représentants des forces de police et de gendarmerie, seront destinataires des données confidentielles sur les citoyens sortant de prison pour participer à l’élaboration d’un plan d’application des peines. Ça aussi, c’est du hors droit : comment des élus, des policiers, pourraient-ils faire office de conseillers d’insertion ? Le mélange des différents pouvoirs, du juge, du policier, du politique, c’est ça leur démocratie ? Cette loi ne résoudra rien. La prison restera un lieu de destruction des individus, un « haut lieu d’insécurité, de peur » dit Jean-Marie Delarue, le contrôleur général des lieux de privation de liberté. On s’y suicide 6 fois plus qu’à l’extérieur, elle favorise la récidive et 60 % y reviennent. Il faut supprimer la prison pour tous les actes délictueux, et au-delà nous battre pour arracher de vraies alternatives aux désespoirs qui conduisent parfois à la délinquance de la misère : un emploi pour tous et toutes, un vrai salaire, le droit à l’éducation, à la santé, au logement. Mais aussi la culture, l’échange, la solidarité. Bref, changer radicalement de société.
Roseline Vachetta