Publié le Mercredi 29 mars 2023 à 22h13.

Retraites : une semaine de bazar, pour aller vers la victoire ?

Les manifestations étaient de nouveau énormes ce mardi 28 mars, bien qu’en recul par rapport aux précédentes. C’est le signe d’un mouvement en manque de perspectives, mais qui conserve les capacités de gagner.

Avec deux millions de participantEs selon les organisations, 740.000 selon la police, elle se place dans le haut des chiffres de ce mouvement, et au-dessus des autres grandes mobilisations sociales de ces dernières décennies. 450.000 à Paris, 80.000 à Bordeaux, 150.000 à Toulouse, 60.000 à Nantes, 8.000 à Bourges, 400 à Lamballe, 15.000 à Perpignan, 15.000 à Toulon, 15.000 à Tarbes, 15.000 au Puy-en-Velay1, ce sont des chiffres tout à fait impressionnants. Cela dans un contexte très compliqué : la manifestation n’a été appelée qu’avec un délai très court pour de nombreux secteurs, notamment pour le privé et l’Éducation nationale, où il faut du temps pour convaincre et mettre en mouvement ; le congrès de crise de la CGT mobilise de très nombreux/ses militantEs ; la répression atteint des sommets, provoquant de l’indignation mais aussi de la peur.

Ce qui est impressionnant, par ailleurs, c’est le nombre d’actions de blocage, avec un dépôt de poubelles à la sous-préfecture de Guigamp, des blocages de routes, la construction d’un mur devant l’atelier de la porte-parole locale de Renaissance à Lille, les envahissements de l’aéroport de Biarritz, des manifestations spontanées avant les grandes manifestations, ou encore des envahissements de voies à Gare de Lyon ou à Miramas par exemple.

Et aussi l’entrée, lente mais déterminée, de la jeunesse dans le mouvement. Avec des AG qui commencent lentement à devenir plus massives, avec 250 personnes à Paris Diderot par exemple. Tandis que 500 lycées auraient été bloqués, que des cortèges de jeunes se sont constitués à partir d’écoles, de petits sites universitaires, etc. 

Le mouvement dans une zone de flou

La direction de la CFDT cherche une porte de sortie, un compromis avec le pouvoir, symbolisé par la proposition de «médiation» reprise également par le secrétaire général de la CGT Philippe Martinez, ce qui semble coûter très cher à la direction de la CGT lors de son congrès. Il ne faut cependant pas mettre de côté le fait que, dans la CFDT, les militantEs de base et les cadres intermédiaires sont très impliquéEs dans la mobilisation et ne veulent pas lâcher le mouvement.

La grève reconductible de masse a échoué à se mettre en place autour des 7, 8 et 9 mars en débordant le calendrier syndical. Cela ne signifie pas que cette perspective n’est plus valable mais qu’à court terme elle ne peut sans doute plus exister. Les secteurs en grève reconductible sont d’ailleurs en difficulté pour maintenir leur grève, avec des caisses de grève qui commencent à se réduire et des grévistes qui sont moins nombreux/ses. Cependant, ces grèves permettent de maintenir une agitation quotidienne qui est capitale pour le mouvement.

La jeunesse tarde à devenir une force motrice. Cependant, sa participation massive aux manifestations du 28 mars (500 lycées bloqués, une centaine de sites universitaires bloqués ou au moins très perturbés) est un point d’appui important pour une accélération du mouvement dans la jeunesse. On verra dans les prochains jours si les assemblées générales et les actions se massifient et permettent de donner un deuxième souffle au mouvement.

Enfin, la répression a franchi un palier, avec les blessures graves infligées à des manifestantEs dans les manifestations pour les retraites, mais aussi à Sainte-Soline contre les méga-bassines. Si la révolte démocratique ne compense pas les menaces, la répression est un frein à la mobilisation, elle freine la participation aux manifestations, à des actions de blocage, à des piquets de grève.

Sans parler du congrès de la CGT, dont l’issue est incertaine et dont les éléments de crise l’emporte pour l’instant sur les éléments dynamique : aucun des secteurs qui s’affronte au congrès n’a de solution pour le mouvement, la direction autour de Martinez privilégiant l’accord avec la CFDT, qui joue un rôle positif dans le mouvement mais dont il faudrait aussi s’émanciper pour construire la grève générale, tandis que les oppositionnels, plus combatifs sur de nombreux points, sont pour l’instant trop influencés par une ligne identitaire qui pourrait casser le lien avec les autres syndicats et pourrait aboutir à la fin du mouvement dans de brefs délais. Par ailleurs, ils n’ont pas nécessairement les moyens d’une politique plus radicale à la base, parce que les difficultés objectives sont difficilement contournables. Une sortie par le haut, combinant démarche unitaire et construction offensive de la grève générale, n’est pour l’instant pas à l’ordre du jour, même si les choses peuvent évoluer dans le congrès.

Alors comment gagner ?

Il n’y a pas de solution simple. Une chose est sûre, il ne suffit pas d’incantations à la grève générale visant à dénoncer les directions syndicales. Se battre pour la grève générale, oui, cela montre une perspective juste, mais le faire de façon sectaire joue un rôle négatif, en niant les difficultés du mouvement et en créant des ruptures en son sein. C’est la politique que mène Révolution permanente, en tentant de découper une aile plus combative, l’isolant des masses.

La bataille pour la grève générale est une lutte dans laquelle on doit proposer ce qui fait avancer le mouvement tel qu’il est, en tenant compte de la conscience de classe telle qu’elle est, pas telle qu’on la rêve. Aujourd’hui, nous avons quelques certitudes et points d’appuis, à renforcer :

- Nous maintenons toujours la position de construire la grève, reconductible partout où c’est possible, au moins hebdomadaire, pour maintenir l’unité la plus large, entre les directions des organisations, mais aussi et surtout entre les différentes couches de la mobilisation, les différents niveaux de combativité et de possibilité d’agir.

- Nous maintenons la bataille pour l’auto-organisation, malgré les grandes difficultés. Toutes les AG, les coordinations, si elles ne se prétendent pas être plus représentatives qu’elles ne le sont en réalité, peuvent jouer un rôle positif en discutant politiquement du mouvement et en proposant et organisant des actions.

- Nous encourageons une vision politique du mouvement. De larges masses, notamment dans la jeunesse, voient cette lutte comme une lutte démocratique en plus d’être sociale et revendicative. Cette vision renforce le mouvement, avec la prise en compte de revendications sectorielles, des femmes, sur les salaires, les services publics, l’assurance chômage, la loi Darmanin, la transition écologique, les bassines. Et, en toile de fond, un combat contre le pouvoir de Macron, sa police, le patronat.

- Cette bataille politique nécessite aussi des outils politiques pour augmenter le rapport de forces pour le monde du travail. Le combat se fait contre Macron, mais nous ne faisons pas confiance au Conseil constitutionnel pour apporter des solutions et nous combattons toute tentation de s’associer au RN. Ce sont de faux amis, de vrais adversaires. Tout se jouera au rapport de forces. Une éventuelle censure par le CC viendrait donner une issue institutionnelle à la crise sur la base d’un rapport de force gagnant pour le mouvement, elle ne sauvera pas un mouvement en difficulté. Et d’ailleurs, l’extrême droite, qui attaque maintenant des cortèges ou des occupations, ou qui agit par le biais de la police dans les manifestations et à Sainte-Soline, est une ennemie déclarée du mouvement, auquel nous devons nous donner les moyens de répondre, par le travail unitaire et l’auto-protection des structures d’auto-organisation.

- La crise politique est aiguë, que le mouvement gagne ou non. Face à cette crise, nous avançons comme solution la mise en place d’un gouvernement des exploitéEs et des oppriméEs, appuyé sur la mobilisation, rassemblant toutes les organisations du mouvement ouvrier. Face au scandale démocratique de la répression policière, du 49.3, nous proposons la fin de la Ve République et une assemblée constituante.

Et demain ?

De tous ces points de vue, la date du 6 avril n’est pas mauvaise en soi. Elle peut soit être un enterrement du mouvement, si elle ne s’inscrit pas dans une dynamique, soit au contraire permettre de construire une nouvelle mobilisation énorme, en donnant du temps pour entraîner dans les secteurs les moins militants. Mais, pour cela, il faut rythmer, déborder le calendrier intersyndical, par des actions qui n’isolent pas, mais au contraire élargissent le mouvement : comme le blocage du Louvre. Comme pourrait l’être une journée de blocages des voies de transports (gares, autoroutes, ports, etc.). Ou une manifestation nationale à Paris sur le thème «Macron, on vient te chercher chez toi !».

Les blocages doivent se placer  dans la perspective de construire la grève qui  reste la meilleure façon de bloquer. Les blocages peuvent servir à démontrer que nous sommes partout, que nous faisons fonctionner tous les rouages de la société et que nous pouvons l’arrêter, par la grève générale, une grève générale pour tout changer.

D’autant que le processus politique de ce mouvement n’est pas terminé : entre les violences policières à Sainte-Soline, le processus scandaleux d’interdiction des Soulèvements de la Terre, l’annulation de la visite du roi d’Angleterre, le congrès de la CGT, quasiment chaque jour apporte un nouveau choc. Cela montre l’instabilité de la situation, les multiples possibilités de rebondissements. La décision du Conseil constitutionnel du 14 avril peut être un de ces moments, ou une nouvelle provocation de Macron, Darmanin ou Borne. C’est aussi un des rôles des militantEs politiques de faire le lien entre tous les évènements pour accélérer les maturations et les prises de conscience. Sans gauchisme, sans crier «on est déter et révolutionnaires» à tous les coins de rue, mais avec la préoccupation d’entraîner les masses dans l’action politique.

  • 1. Pour pouvoir comparer avec les chiffres historiques du 23 mars : 800 000 à Paris, 110 000 à Bordeaux, 150 000 à Toulouse, 80 000 à Nantes, 8 000 à Bourges, 15 000 à Angoulême, 1 000 à Lamballe, 20 000 à Perpignan, 30 000 à Toulon, 24 000 à Tarbes, 15 000 au Puy-en-Velay…