Publié le Mardi 18 novembre 2025 à 18h00.

Dans l’œil du cyclone

La situation en France semble à l’arrêt. Après les manifestations et grèves des 10 et 18 septembre et du 2 octobre, la retraite anticipée de Bayrou et le volte-face de Lecornu (je m’en vais… ou pas), les mobilisations ralentissent. Les organisations syndicales et politiques sont en attente du budget. Le rythme de la rue est calqué sur celui du parlement, laissant un espace politique inespéré à l’extrême droite. Mais les choses peuvent changer rapidement. Nous devons nous y préparer.

L’analyse de la situation en France impose de comprendre l’évolution des rapports de force mondiaux. Si le point nodal de la situation mondiale se trouve en Palestine, il faut garder à l’esprit que Trump ne s’arrêtera pas au Proche-Orient. Il a annoncé sa volonté de reprendre les essais nucléaires interrompus pendant 30 ans, avec en ligne de mire la Russie et surtout la Chine. La course à la guerre se poursuit. Dans ce contexte, l’Allemagne cherche à devenir l’armée la plus puissante d’Europe et se lance dans des investissements sur plusieurs années à hauteur de 377 milliards d’euros pour des équipements militaires, dont la moitié destinés aux entreprises allemandes, de quoi relancer leur économie. Au passage, elle va commander pour 100 millions d’euros à Israël pour améliorer leurs drones militaires. Pour ne pas rester sur le bord de la route, Lecornu a promis de maintenir le budget de l’armée, à « seulement » 50,5 milliards d’euros pour 2025. Macron veut maintenir ce cap pour atteindre 64 milliards pour 2027.

 

Qui va payer pour ça ?

Dans ce cadre, Lercornu 2 annonce des suppressions de postes dans les services publics. Édouard Geffray, vieux Blanquer-boy qui rôde à Grenelle depuis 2019, nouvellement nommé ministre, prétend que les suppressions de 4 000 postes dans l’Éducation nationale correspondent à une baisse démographique. Il ajoute que si le gouvernement avait strictement suivi sa logique, « il aurait fallu supprimer 8 000 ou 9 000 postes ». Monsieur le Ministre, qui scolarise ses enfants dans le privé, est donc trop bon avec nous, les gueux abonnés aux services publics.

Si la réforme des retraites est « suspendue », à terme, il faudra toujours 43 annuités pour prétendre à la retraite. Pour financer ce « manque à gagner », Lecornu s’attaque frontalement à la santé pour arriver à économiser 7,1 milliards d’euros, soit 2 milliards de plus que ce qu’envisageait Bayrou. Sans compter l’augmentation de la franchise à payer sur les médicaments, sur les transports médicalisés (ambulances…), l’augmentation du reste à payer sur les consultations médicales ainsi que sur les analyses de santé (radios, analyses biologiques…). Lecornu souhaite en finir avec un certain nombre de remboursements des affections longue durée (ALD), alors qu’il constate lui-même qu’un français sur 4 y aura droit d’ici 2035. Enfin, c’est une nouvelle année blanche pour les retraites et les prestations sociales. Ce qui fait mécaniquement diminuer le pouvoir d’achat, en période d’inflation.

Voilà ce que contient le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) de Lecornu, voilà pourquoi nous y sommes fondamentalement opposés.

 

Temps courts, temps longs

Lorsque Bayrou présente au début de l’été son projet de budget, la mobilisation ne s’est pas fait attendre : plus de 2 millions de signatures pour une pétition contre la loi Duplomb contre la réintroduction de pesticides, suivie par la manifestation du 10 septembre à l’appel de Bloquons tout. Puis, rapidement, appel à la grève de l’intersyndicale le 18 septembre enchaînée par celle du 2 octobre. En parallèle, se développe une mobilisation des agricultrices et agriculteurs de la FNSEA, des pharmacien·nes… Même le patronat menaçait d’un meeting le 13 octobre (du jamais vu depuis 1982), créant une opposition entre le MEDEF et la CPME (deuxième syndicat patronal en France). Ce rythme effréné a imposé la retraite anticipée de Bayrou, sans calmer les ardeurs de la révolte.

La première nomination de Lecornu à Matignon n’a pas tenu une nuit devant la grogne de Bruno Retailleau, chef des Républicains, insatisfait de la répartition des postes ministériels. Au gouvernement le plus court de la 5e République se succédait la période la plus longue sans gouvernement : une crise politique sans précédent, qui oblige la droite et le patronat à se taire et à rentrer dans le rang. Retailleau sera écarté du gouvernement Lecornu 2 tandis que d’autres ministres Républicains y restent. Le patronat annule son meeting et la prochaine date de mobilisation semble se caler sur les soubresauts du débat parlementaire.

Nous vivons un des éléments caractéristiques d’une crise politique : l’alternance entre des temps très courts de mobilisation, où tout semble possible, et des temps plus longs, où les partis institutionnels reprennent du poil de la bête. Il n’est pas surprenant que le RN ait réussi à faire passer à l’Assemblée nationale, le 30 octobre, la révocation de l’accord franco-algérien de 1969 sur le séjour et le travail des ressortissants algériens. Le retour de bâton est d’autant plus réactionnaire.

Cependant, la crise économique n’est pas finie. Le désaccord au sein du capitalisme français oppose un libéralisme pro-européen1 et un État fort protectionniste et nationaliste pour maintenir, voire augmenter, le taux d’exploitation (allongement du temps de travail, baisse des salaires et des prestations sociales). Bref, le retour à l’ordre est précaire.

 

Place de la Gauche

Comme le rappelait François Sabado2, la gauche « est le produit d’un compromis historique particulièrement instable, entre un socialisme ouvrier — au demeurant à l’époque plus proudhonien que marxiste — et le camp républicain, c’est-à-dire les secteurs de la bourgeoisie et de la petite bourgeoisie qui s’opposaient à l’Ancien Régime ». Cette contradiction est toujours à l’œuvre aujourd’hui et la ligne de fracture se place entre les organisations qui veulent augmenter la crise politique et celles qui souhaitent la réduire. Cependant l’unité d’action de notre camp social reste une nécessité impérieuse. D’abord et avant tout pour lutter contre l’extrême droite et le projet d’union des droites, qui apparaît comme le dernier rempart pour maintenir les Républicains à flot. Mais aussi, et surtout, parce que c’est la mobilisation de notre camp qui permet l’augmentation rapide et massive du niveau de conscience, c’est à dire le basculement de plus en plus d’opprimé·es et d’exploité·es en faveur de l’approfondissement de la crise, pour arriver au point où « “ceux d’en bas” ne veulent plus et [où] “ceux d’en haut” ne peuvent plus continuer de vivre à l’ancienne manière, c’est alors seulement que la révolution peut triompher ».3 Cela suppose dans un premier temps des accords avec tous les partis (y compris le PS), et une intersyndicale large (y compris avec la CFDT) localement et nationalement, pour agir. Cela implique que nous saisissons toutes les occasions pour la mobilisation et pour la grève. C’est ce que nous entendons par l’expression de front unique ouvrier. 

Notre tâche est donc de préparer les temps courts, mais également d’anticiper les temps longs institutionnels. Les capitalistes n’ont pas encore épuisé tous les ressorts institutionnels de la 5e République. Une nouvelle dissolution de l’Assemblée nationale est possible. Un pacte de non-agression au centre (du PS à Édouard Philippe, pour le dire vite) peut être trouvé pour l’élection présidentielle de 2027, empêchant le retour du Nouveau front populaire et l’union des droites. Dans ce cadre, nous défendrons l’unité de la gauche radicale, notamment avec LFI, dans des activités intra et extra-parlementaires. Mais le pire n’est jamais certain et nous œuvrons aujourd’hui à l’unification de l’ensemble de la gauche pour l’action.

Les rythmes actuels sont calqués sur le temps parlementaire. Nous suivons les débats de l’Assemblée nationale. Mais au fur et à mesure que le PLFSS se précise, que les amendements sont adoptés (défiscalisation totale des heures supplémentaires) ou rejetés (taxe Zucman), le vote global majoritaire semble compromis. Nous préparons les prochaines grèves, à tous les niveaux.

 

Questions économiques, questions politiques

Les combats essentiels ne portent pas uniquement sur des questions économiques. La Palestine est un point clé de la situation mondiale. Non seulement parce que le génocide ne s’est pas arrêté avec le pseudo cessez-le-feu de Trump, mais aussi parce que s’y jouent les rapports d’influence des puissances impérialistes du monde entier. L’État d’Israël s’arroge le droit de continuer à tuer des centaines de palestinien·nes. En même temps, le président étatsunien menace4 d’aller « tuer » les militant·es du Hamas « s’ils continuent de tuer des gens ». Aujourd’hui, encore plus qu’hier, toute notre solidarité va pour les palestinien·nes et nous participerons à la manifestation unitaire nationale du 29 novembre à Paris.

Dans ce contexte, l’Ukraine est une scène secondaire, mais importante, où se jouent aussi les rapports d’influence entre la Russie, l’Union européenne et l’OTAN. Cette guerre permet de justifier les investissements militaires et de préparer la population à un affrontement direct.

Enfin, face à l’offensive réactionnaire en France, nous defendons une ligne anti-raciste et contre les violences policières, car ces questions sont clés dans la société que l’on veut construire.

Il ne s’agit pas pour nous de nous « disperser », mais au contraire, de comprendre que dans la situation de crise que nous vivons, une question a priori mineure peut se transformer en un enjeu de mobilisation de masse. C’est précisément ce que nous cherchons à développer, par tous les moyens nécessaires. 

  • 1. L’Union européenne représente, outre le marché commun de l’euro, une manne de subventions pour les agriculteurs. Elle permet également le maintien des pays dominants de l’Union sur la scène internationale, y compris par l’objectif de mise en place d’une armée européenne.
  • 2. François Sabado, La gauche, une ambiguïté historique fondamentale. Critique Communiste n°176, juillet 2005.
  • 3. Lénine, La maladie infantile du communisme, 1920.
  • 4. Donald Trump sur son réseau Truth Social, le 16 octobre 2025.