Publié le Jeudi 23 juin 2022 à 08h00.

Vague brune sur l’Assemblée nationale

Les 35 députés du groupe FN-Rassemblement national de 1986 faisaient figure de mirage. De deux députés en 2012 puis huit en 2017, le parti explose ses espérances avec 89 éluEs en 2022. Leurs espoirs seront nos prochains cauchemars si le groupe parlementaire dirigé par Marine Le Pen parvient à s’imposer comme un « groupe d’opposition déterminant face aux déconstructeurs d’en haut, les macronistes, et aux déconstructeurs d’en bas, cette extrême gauche antirépublicaine », ainsi que l’a annoncé la finaliste de l’élection présidentielle.

Niches parlementaires, représentation dans des commissions permanentes et au bureau, temps de parole largement augmenté, dépôt possible de motion de censure… c’est un pas de plus dans l’institutionnalisation de l’extrême droite auquel nous assistons, qui ne rimera pas avec modération. Avec la possibilité de demander la création de commissions parlementaires : les mouvements antiracistes et les organisations de gauche radicale, déjà pointées par Gérald Darmanin, vont être dans le viseur. Marine Le Pen assure vouloir être « une opposition ferme, responsable, respectueuse des institutions ». Mais dans un contexte où LR, qui entendent aussi être une opposition constructive, ont déjà l’un de leurs chevaux de bataille – avoir la peau du ministre de l’Éducation, trop « woke » à leur goût – on peut s’attendre à une institutionnalisation un peu plus poussée du discours xénophobe. Nul doute que face au projet d’« économie de guerre » qu’Emmanuel Macron propose pour l’industrie de la défense, le RN n’aura aucune difficulté à se montrer « ferme et constructif » dans son nationalisme.

Renouvellement de l’appareil politique ?

Le financement découlant des législatives ne parviendra pas à éponger tout de suite la dette de 24 millions. Mais ce sont des moyens militants accrus autour des députéEs. Heureusement, rien n’indique que, par miracle, le RN ait rompu avec son habitude d’aligner bras cassés et jeunes opportunistes. Le groupe RN se compose de plusieurs inconnuEs, pour certains novices : renouvellement d’un appareil politique ou confirmation de sa faiblesse structurelle ?

Caroline Parmentier a fait ses premières armes comme journaliste puis rédactrice en chef de Présent, le quotidien national-catholique, avant de devenir attachée de presse de Marine Le Pen. Autre génération, Laure Lavalette est une ancienne du Renouveau étudiant à Bordeaux, passée par le MNR de Bruno Mégret. Soutien de La Manif pour tous et des mouvements anti-avortement, elle insiste peu sur sa « ligne sociétale » depuis sa nomination comme porte-parole du RN. On trouve aussi quelques anciens soutiens d’Éric Zemmour et proches de Marion Maréchal, des historiques ayant connu l’époque Jean-Marie Le Pen et beaucoup de militants portés par la Génération Le Pen, de Marine. Plusieurs ralliés, plus ou moins frais, ont fait leurs premières armes à l’UMP ou à Debout la France. Tout cela relativisera le conflit entre « union des droites » et « ni droite ni gauche ». Dans la « recomposition politique indispensable » à laquelle appelle Marine Le Pen, pour un « grand mouvement populaire unifiant tous les patriotes », toutes les recombinaisons sont envisageables. À l’intérieur, le « clan Hénin-Beaumont-Fréjus » ne semble pas prêt à desserrer sa mainmise sur le parti. Les dissensions ne s’apaiseront pas de sitôt.

Supercherie sociale

Entre le RN, avec un groupe parlementaire doté de moyens politiques inespérés, et Reconquête !, un parti fragilisé par son échec électoral mais fort d’une base militante inédite, que Marion Maréchal entend transformer en « prescripteur d’opinion », le vent mauvais que nous avons vu se lever début 2022 n’est pas prêt de tomber. En plus de ses fondamentaux, immigration et insécurité, Marine Le Pen a désigné ses prochains axes de batailles : « le chômage, la justice fiscale et sociale, les territoires oubliés, les citoyens maltraités ou la démocratie bafouée ». L’ancrage du RN est établi dans un axe nord-est autour de l’Île-de-France, dans le « couloir de la pauvreté » de la Garonne et dans le pourtour méditerranéen. Cette implantation se traduit aussi dans le profil social diversifié de ses nouveaux éluEs, avec plusieurs salariéEs – chauffeur-livreur, ouvrière qualifiée, auxiliaire de vie, agent de maintenance... La dénonciation de cette supercherie sociale, couplée à la popularisation de réponses anticapitalistes aux crises à venir, reste l’une des tâches majeures à venir, pour déconstruire et lutter contre cette fausse opposition.