Publié le Lundi 29 décembre 2025 à 18h00.

Violences policières : honorer les morts, célébrer les vivants

Le 21 octobre, Nicolas Sarkozy., ancien président de la République française, ancien ministre (notamment de l’Intérieur), ancien maire et ancien député, a été incarcéré pour association de malfaiteurs. Il n’y a passé que 20 jours. Cette incarcération ne doit pas nous faire oublier ce qu’est le système police-justice : une institution de classe. 

Les détenus de la prison de la Santé ont tout fait pour empêcher l’ancien chef de l’État de s’acclimater à la prison durant sa première nuit. À l’inverse des systèmes policier et pénitencier qui font tous les aménagements possibles dans le cadre d’une détention pour que celle-ci se passe au mieux. Rien ne doit nous faire oublier que la prison n’est pas faite pour « des gens comme [eux] ». Les récents propos ignobles de Jean-Claude Darmon1 qui déclare « nous ne sommes pas des animaux » disent tout de la fonction de la prison dans une société capitaliste : c’est un système raciste et classiste de mort sociale. 26 % des détenu·es le sont dans l’attente de leur jugement.

 

Une injustice de classe

Il nous revient en mémoire des histoires plus récentes de confrontation à une injustice de classe : deux audiences de comparution immédiate s’étant déroulées au tribunal de Créteil quelques semaines après l’assassinat de Nahel M.

Kenann M. est né en 2004, il cherche actuellement une alternance pour ses études en informatique. Il a participé aux révoltes en s’introduisant avec d’autres dans un entrepôt où ils se sont mis au volant de quelques camions. Rapidement la police fut appelée et tout le monde détala, y compris Kenann M. Ce n’est qu’en rentrant chez lui qu’il s’aperçoit qu’il n’a plus son téléphone. Il ne comprend pas tout de suite, mais en activant sa localisation, il découvre qu’il se trouve dans un commissariat du Val-de-Marne. Il s’y rend alors quelques jours après, faisant mine de ne pas savoir où il aurait pu être trouvé… Il n’a jamais eu affaire à la police. Elle n’était pas sur sa piste et elle ne peut pas prouver qu’il ait lui-même conduit un des camions. Or le risque est grand que le Juge présent à l’audience cherche à en faire un exemple afin de rappeler aux jeunes des quartiers populaires que toute révolte leur est proscrite. Il y a dans sa trajectoire comme un écho de l’Histoire et du Code Noir qui interdisait aux esclaves toute forme d’attroupement, afin d’empêcher toute forme d’organisation.

Mohammed B. est un boucher marocain à la trentaine bien tassée. Un soir, alors qu’il est alcoolisé, il est emporté par le souffle des révoltes qui éclatent dans sa ville. Il entre dans un bâtiment et met le feu à un véhicule abandonné. Lui n’ont plus n’a jamais eu affaire aux services de police. Et une incarcération lui ferait perdre la situation stable à laquelle il a peiné à parvenir.

 

Abolir les prisons

Ces révoltés d’un soir nous restent à l’esprit. Car les révolutions ne se mènent pas qu’avec une avant-garde éclairée. Si nous avons raison de réclamer le désarmement de la police, ainsi que son abolition, si nous avons raison de dénoncer les violences policières, nous devons aussi œuvrer à une autoprotection de notre classe face à celles-ci. Organiser notre classe face à un système conçu pour broyer une fraction de celle-ci, pour mieux discipliner celles et ceux qui restent. Celles et ceux qui échappent à un destin funeste, réel ou social.

Il est très probable que Kenann M. et Mohammed B. aient eu affaire à des contrôles d’identité inopinés, à des remarques insultantes, à des humiliations gratuites. Car de la même manière qu’il existe un continuum colonial, de la même manière qu’il existe un continuum des violences sexistes et sexuelles, il existe un continuum des violences policières qui vise à écraser toute velléité de révolte chez les garçons racisés de quartier populaire dès le plus jeune âge.

Des milliers de révoltés se sont vus dans la vidéo de l’assassinat de Nahel M., y ont reconnu leurs conditions matérielles d’existence étouffantes. Le mouvement qui en a découlé faisait directement suite à un mouvement social historique contre la réforme des retraites de 2023. Bien que la gauche ait été moins hostile à ces révoltes qu’à celles qui ont fait suite à la mort de Zyed B. et Bouna T., elle est demeurée aux abonnés absents d’un mouvement composé d’une fraction de la classe qu’elle peine à atteindre.

Les révolutionnaires ont déserté le « terrain de la lutte des classes réellement en cours », comme s’iels ne la reconnaissait pas comme telle. Depuis Zyed B. et Bouna T., 162 personnes ont trouvé la mort suite à une tentative de contrôle de police. Cela ne doit nous faire oublier ni les milliers de révolté·es broyé·es par l’injustice de classe, ni les prisonnier·es politiques, en France, en Kanaky, en Palestine et partout dans le monde, dont l’incarcération a pour objectif de museler nos colères. Et lorsque nous honorons les morts, n’oublions pas de célébrer les vivants. C’est une étape nécessaire dans la voie du démantèlement du système capitaliste. 

  • 1. Interview de Jean-Claude Darmon sur Europe 1 le 21 octobre 2025.