Après le nouveau décès d’un patient le 12 avril aux urgences de Grenoble, il est plus que jamais question de se battre pour obtenir de bonnes conditions de travail et des moyens, des bras et des lits, dans de nombreux services.
Dès le 4 avril dernier, dans un contexte de situations de plus en plus dangereuses, les syndicats du Centre hospitalier universitaire Grenoble Alpes (CHUGA) avaient décidé de faire un signalement au Procureur de la République pour « mise en danger de la vie d’autrui par défaut des moyens ». Il a été classé sans suite, le magistrat estimant que l’inaction des pouvoirs publics ne justifiait pas l’ouverture d’une enquête pénale. Et pourtant !
Décès et colère des patients
Le 11 avril, toujours pas entendus et à bout face à l’indignité de leurs conditions de travail et leur isolement, les personnels des urgences prennent la décision de déplacer une trentaine de brancards à l’étage au-dessus, dans le hall d’accueil de l’hôpital pour alerter et rendre visible l’invisible : en montant (avec leur accord) les patientEs en attente dans le couloir des urgences, ils espèrent dénoncer, une fois encore, la situation de leur service au bord de l’effondrement.
Le 12 avril, un décès vient tristement confirmer l’alerte désespérée des syndicats : celui d’un patient de 91 ans, un matin, après 3 jours sur un brancard des urgences, sans avoir pu voir ses proches. « La famille a dit que c’était un hôpital de salauds », rapporte le docteur Cyrille Venet, anesthésiste et syndicaliste au CHU. Les mots sont rudes, mais le médecin comprend. Comment blâmer cette colère ? La situation est telle que « les patientEs s’accumulent aux urgences, dans l’attente d’une place dans un service. Certains sont là depuis 10 jours, stagnant dans le couloir, faute de lits ouverts en aval, faute de personnels, faute de bras », témoigne-t-il.
Fermeture des lits aux urgences et dans les services
Ces fameux lits. Près de 21 000 ont été fermés sous le mandat Macron, continuant ainsi la casse de ses prédécesseurs. Dernier épisode en date : la loi Rist, qui, en restreignant drastiquement les possibilités de recours à l’intérim médical pour les hôpitaux pourtant en pénurie de médecins, conduit à de nouvelles fermetures de lits et de services.
« Même si les urgences arrivent à tenir avec un nombre suffisant de professionnels, les lits d’aval manquent en permanence, avec trois filières particulièrement impactées : la psychiatrie, la gériatrie et la pédiatrie. La situation en pédiatrie, notamment au bloc, est catastrophique », selon Cyrille Venet. Pour lui, « L’idée folle que les urgences du CHU puissent fermer est non seulement devenue possible, mais même extrêmement probable ».
Et cela tend les discussions entre le corps médical et l’administration supposée œuvrer dans le même sens que les soignantEs. Lors de la dernière réunion exceptionnelle des chefs de service, le risque de fermeture a poussé à des réflexions ubuesques : arrêter les activités des services pour sauver les urgences ? « Ce serait vider les étages pour faire croire aux populations du bassin de vie qu’on tient la baraque. Ça n’aurait pas de sens » déplore le Dr Venet. Pourtant, il y a assez de médecins pour rouvrir des lits, précise-t-il en ajoutant « pas tous les lits nécessaires, mais rouvrir les lits fermés permettrait déjà une amélioration, il ne manque pas grand-chose pour retrouver des conditions normales d’exercice : les 90 lits de Grenoble, les 50 de Saint-Egrève, les 30 de Voiron et les 20 de Saint-Laurent-du-Pont, et on tiendrait le temps de se réorganiser sérieusement ».
Malgré tout, lorsqu’ils arrivent aux urgences, les usagerEs du bassin de vie témoignent beaucoup de soutien aux soignantEs. Même angoissés par le tableau catastrophiste et malheureusement réaliste dans la presse, « la plupart sont très sympathiques, extrêmement patients, gentils, s’excusant parfois d’avoir dû venir. Ils sont rassurés qu’on arrive à tenir ».
« Des bras, des lits »
Et ils tiennent, les soignantEs. Ils luttent. « “Des bras, des lits”, ce n’est pas un collectif, c’est un mot d’ordre intersyndical, parti du CHR de Metz-Thionville à la base ». Ses urgences ont vécu une fermeture inopinée. « C’est important, parce que c’est François Braun, notre ministre de la Santé qui était chef de ce service, dans lequel il y a eu 55 personnels en arrêt maladie sur 59 au total [NDLR : infirmierEs et aides-soignantEs]. Pendant plusieurs heures, il y avait des patientEs… mais pas de personnels. Dans des urgences, en France…», souligne le médecin. « Ce mot d’ordre, c’est pour tout : salaires, conditions de travail, ratio de patientEs, capacité d’ouvrir des lits d’aval, formations, recrutement, valorisation du travail de nuit, titularisation, capacité de diplômer des infirmiers de bloc… Des bras, des lits, ça concentre toutes ces questions », ajoute le Dr Venet.
Au-delà de Grenoble, « Des bras, des lits » est une revendication qui prend de l’ampleur ailleurs en France et fédère de plus en plus. Car les tensions sur le système de soins et les risques vitaux pour les patientEs sont présents partout chaque jour. Comme pour ce patient, schizophrène, arrivé aux urgences automutilé et en crise. Capable d’une grande agressivité envers lui-même ou les autres, il devrait bénéficier d’une surveillance adaptée, dans une unité spécialisée. Mais il n’y a pas de place, alors il restera aux urgences ces prochains jours. Sédaté parce qu’il est en crise trop violente ou attaché pour ne pas s’enfuir à nouveau et être retrouvé par les vigiles sur le parking… Sédater ou attacher sur un brancard, seules solutions dans ce contexte d’attente de lit. Voilà où l’on en est : « au bord de l’accident grave, contraints malgré nous à des méthodes barbares, déplore le médecin, avec des risques pour le patient, pour les autres et pour les personnels. On est les seuls témoins des drames quotidiens, pas seulement des plus médiatisés. Pour chaque patientE qui décède, on se demande ce qu’on aurait pu faire, comment on aurait pu réussir à le sauver… si on avait eu un système qui marche ».
Une assemblée générale des personnels se tiendra le 4 mai. Une partie est déjà en grève illimitée depuis le 6 décembre 2022 pour dénoncer le manque de moyens et les situations dramatiques. Des bras, des lits. Soudain, ces mots prennent tout leur sens. C’est urgent !