Reporté il y a un an suite au combat de procédure des avocats du laboratoire Servier, le procès du Mediator a cette fois bien lieu à Nanterre. Jacques Servier et les quatre autres responsables du groupe accusés n’ont pas obtenu un nouvel ajournement. Servier n’avait pas hésité à déclarer à la veille du procès « on s’en fout du procès » avant de s’excuser dans un communiqué, montrant la considération qu’il a pour les victimes d’une tromperie consciente n’ayant pour but que le profit.Le Mediator est un médicament mis sur le marché comme « antidiabétique » , bien que son efficacité dans ce domaine n’ait pas été démontrée. Très largement prescrit comme « coupe-faim », il aurait déjà causé la mort de 220 à 300 personnes et à terme pourrait entraîner le décès de près de 1 300 à 1 800 personnes, selon le dernier rapport d’expertise.Dans le seul but de maintenir sur le marché un médicament qui aurait dû en être retiré dès la fin des années 90, Servier et ses complices se sont acharnés à masquer le caractère de coupe faim du produit et sa proche parenté avec d’autres molécules du même laboratoire. Celles ci furent retirées du marché dès les années 90 parce qu’elles pouvaient entraîner des pathologies graves, voire mortelles : l’hypertension artérielle pulmonaire et la valvulopathie cardiaque. Le Mediator n'a pas subi le même sort, car il n’était pas répertorié comme « coupe-faim ».La stratégie s’est montrée efficace pour les profits de Servier, puisque le Mediator ne fut retiré de la vente qu’en 2009 ! Il a fallu le grand courage et la ténacité du docteur Irène Frachon, pneumologue au CHU de Brest, pour que le scandale éclate.
Le lobby pharmaceutiqueLa tromperie de Servier n’a été rendue possible que par l’attitude de l’administration sanitaire qui a fermé les yeux malgré les alertes répétées. L’intense lobbying de Servier, qui a réussi à infiltrer et influencer tous les rouages censés contrôler la mise sur le marché des médicaments, n’y est pas pour rien.Le témoignage devant le tribunal d’Aquilino Morelle, co-rédacteur du rapport de l’IGAS, la « police des polices » du ministère de la Santé, (et aujourd’hui conseiller de Hollande) a mis au jour cette question devant le tribunal. Morelle a fait état des « très sérieuses difficultés » rencontrées par l'IGAS pour obtenir des informations de la part de l'Afssaps (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé). « Lors de notre visite, nous avons été confrontés à une attitude inacceptable de l'Afssaps », a-t-il déclaré, même s’il refuse de dire les choses explicitement : « Il y a eu de la bêtise, de la paresse, de la veulerie, de l'incompétence, de l'ignorance, de l'impéritie et certainement autre chose. Mais je ne suis pas ici pour prononcer les mots que vous voudriez que je prononce. » Cet aspect déterminant de l’affaire ne pourra être jugé à Nanterre, car elle est l’objet d’une autre instruction à Paris qui n’est pas encore close.L’exigence des victimes d’avoir un procès rapide, même s’il doit rester incomplet, est néanmoins légitime : le temps est compté autant pour elles que pour Servier, qui a aujourd’hui 91 ans, et il est essentiel de le voir rendre des comptes maintenant devant celles et ceux dont il a brisé la vie. Des actes qu’il a commis au nom de la loi du profit !
J.C. Delavigne