Le tribunal d’Évry vient de condamner Carrefour à une amende record pour avoir payer ses salariéEs en dessous du Smic. Cette décision constitue une victoire pour l’ensemble des travailleurs, même si l’enseigne a bien sûr fait appel.
Dans la longue bataille judiciaire engagée par les syndicats contre le groupe Carrefour, le jugement prononcé le 14 juin dernier par le tribunal de police d’Évry marque certainement un tournant. En effet, l’instance judiciaire a condamné l’enseigne à verser, pour « paiement par un employeur de salaire inférieur au minimum mensuel garanti », une amende de 3,66 millions d’euros, ainsi qu’à payer des sommes comprises entre 300 et 1 000 euros aux dix salariés qui avaient porté plainte individuellement, ainsi que 10 000 à 15 000 euros aux organisations syndicales qui avaient porté l’affaire devant les tribunaux. Cette décision concerne 1 200 salariés répartis sur une douzaine de magasins de la région parisienne et du sud-est de la France. La direction conteste sa condamnation et s’est empressée de faire appel. Elle se défend en expliquant qu’en prenant en compte l’intéressement, la participation, la mutuelle prise en charge par l’entreprise et la réduction de 7 % réservée aux membres du personnel, ainsi que le salaire de base, la rémunération serait largement supérieure au Smic – en faisant le calcul sur l’année ! Elle se garde bien de citer l’enquête menée par l’inspection du travail, qui avait évalué le manque à gagner de 4,53 euros à 45,148 euros par mois selon les salariéEs.
D’une certaine façon, cette question pourrait paraître anecdotique. Elle ne l’est pas, comme l’a souligné le DRH de Carrefour, Jean-Luc Masset, au cours d’une interview : « Ce type de jugement ouvre une interprétation du code du travail qui dépasse très largement le cadre de Carrefour et le cadre de la distribution sur : “C’est quoi le Smic ? Quel est le contenu, quels sont les éléments fondamentaux du Smic ?” » On ne peut que souligner la clairvoyance de cet homme : l’interprétation du patronat n’est pas la même que celle des salariés et des syndicats. Depuis de nombreuses années, les entreprises de la grande distribution sont à la pointe des innovations ayant pour objectif le contournement des obligations légales. Elles ont développé le temps partiel et les contrats précaires à une échelle industrielle, mis en place un système d’exploitation de la main-d’œuvre particulièrement efficace tout en combattant toute forme d’organisation collective. En même temps, elles se présentent comme l’avant-garde de la lutte contre la vie chère dont le seul objectif serait de faire gagner du pouvoir d’achat au consommateur ! Cette décision intéresse donc l’ensemble des employéEs du secteur car elle ouvre aujourd’hui la voie à de nouvelles démarches, auprès des prud’hommes notamment. Démarches qui devront être menées individuellement, contrairement à ce qui existe aux États-Unis, où la loi autorise le regroupement des plaintes pour peser plus fortement.
Hasard du calendrier, la Cour suprême des USA vient de rendre son verdict concernant la plainte déposée par 1,5 million de femmes contre Wal-Mart pour discrimination. Cette « class action » record faisait trembler le puissant distributeur, qui évaluait lui-même le coût éventuel, en cas de condamnation, à plusieurs milliards de dollars. La Cour suprême considère que toutes ces femmes ne peuvent avoir subi la même discrimination : elles sont donc contraintes de poursuivre leur démarche individuellement, ce qui représente une pression moindre sur Wal-Mart : l’action a progressé à Wall Street ! Défaite aux États-Unis et victoire en France, il s’agit des deux faces d’une même réalité : le nécessaire combat contre la discrimination et l’exploitation !
Henri Clément