« Nous ça fait dix jours qu’on est en guerre », s’exclame une gréviste au téléphone. « En grève », corrige sa voisine, qui ajoute : « Beau lapsus… ». Nous sommes au piquet de grève des auxiliaires de vie Domidom, devant le siège caennais de l’entreprise. Il fait beau. Des passants ont comme presque tous les jours déposé des viennoiseries. Et les grévistes mettent au point leur planning des prochains jours. Nous sommes jeudi 27 octobre, et ça fait dix jours que les Domidom font grève.
L’union fait la force
Quelques heures plus tôt, elles ont rejoint le rassemblement interpro devant le conseil départemental – un financeur indirect de leur activité, via l’Allocation Personnalisée d’Autonomie (APA) – banderoles déployées et scandant « Auxiliaires en colère, salaires de misère ! » Elles ne sont pas les seules en grève illimitée. Une délégation de l’entreprise pharmaceutique Cenexi raconte son combat pour l’augmentation des salaires, la production paralysée par des grévistes tous ou presque ouvriers de production, et la direction qui ne veut rien céder. Alors, oui, ça fait du bien de rencontrer des travailleurs et travailleuses d’autres secteurs. Certains, comme les agents de l’hôpital psychiatrique, ont remporté des victoires d’étape : l’embauche de 5 personnes supplémentaires, suite à une occupation de locaux dans l’hôpital. D’autres dénoncent les attaques en cours, comme les salariés du collège Val-de-Vire, menacé de fermeture – ils ont fait exprès le déplacement depuis Vire, à 65 kilomètres.
Et puis, quand tout le monde a dit son mot, le rassemblement devient cortège et prend la direction de l’agence Domidom, les auxiliaires, leurs banderoles et leurs slogans en tête. « Vous n’êtes qu’une dizaine », leur disait leur direction. « Bougez pas, on va chercher du renfort » avaient-elles répondu. Promesse tenue…
« La direction nous prend pour des pigeons à qui on peut donner des miettes »
Hier mercredi, la direction nationale a consenti à discuter… pour ne rien dire. En tout cas, rien de nature à faire cesser la grève. Le Smic a beau monter à une allure de tortue, surtout quand on le compare aux prix des produits de première nécessité, il a fini par rattraper tous les salaires pratiqués par Domidom : 11,07 euros brut de l’heure. La direction propose de seulement rétablir une grille salariale qui va de 11,69 euros pour les plus qualifiées à… 11,11 euros pour les salariées du niveau 1 : une augmentation de 4 centimes de l’heure, soit entre 6 et 7 euros brut mensuels pour un temps plein ! Au mieux, c’est 5 euros en plus sur le compte en banque à la fin du mois. Pour la plupart, qui sont au niveau 2 ou 3, ce sera au mieux 40 euros. Pas de quoi affronter la hausse des prix actuelle.
« On ne peut pas augmenter vos salaires davantage, la loi interdit d’indexer vos salaires sur le Smic », prétend une ponte de la direction. Pourquoi ça ? « Parce que si tous les salaires augmentent, ça va provoquer de l’inflation » précise-t-elle. Ben voyons ! Ça se saurait si ce qui faisait bondir le prix du gasoil à la pompe ou celui du caddy de courses au supermarché était nos salaires ! Ou la prime covid : les Domidom n’ont touché, au mieux, que 380 des 1000 euros promis aux « premières de corvée » du confinement. Et certaines n’ont eu que 19 euros ! L’écart, leur a-t-on dit, s’explique par le mode de calcul de la prime. Celle-ci a été versée au prorata du nombre de bénéficiaires de l’APA visités. Ce qu’une grévistes traduit ainsi : « Le message, c’est que seuls les gens pauvres, qui touchent l’APA, pouvaient nous refiler le covid. Ils ont dû considérer que chez les gens riches, on n’avait pas de risque de tomber malades. »
Un métier utile… sauf à celles qui le font
La souscription par leur employeur d’une assurance de prévoyance professionnelle est une autre revendication importante des grévistes. Depuis 2016, l’obligation qui existait auparavant a sauté. Aussitôt, toutes les boîtes du secteur ont cessé de souscrire : il n’y a pas de petit profit. La conséquence, c’est qu’une salariée en incapacité suite à un accident de travail peut se retrouver sans rien, y compris pour payer ses propres frais médicaux. Et de tels accidents sont monnaie courante. Il y a quelques jours, une ancienne auxiliaire est passée sur le piquet pour encourager les grévistes. À un an de la retraite, elle ne peut plus exercer ; son dos ne lui permet plus de travailler. Une gréviste raconte comment elle a chuté. Une autre comment une collègue a démissionné après avoir fait un malaise au volant. « Le Doliprane, c’est notre bonbon », plaisante une troisième.
Ce mercredi, la direction annonce qu’elle consent à partir de janvier prochain à payer une prévoyance professionnelle… à 50 %. Les 50 % restants, ce sera autant de ponctionné sur des paies déjà insuffisantes. Et au fait, pourquoi les cadres, eux, ont-ils déjà droit à une prévoyance payée à 100 % par Domidom ? Leur boulot serait-il plus utile que celui des auxiliaires ? Il semble que non, à en juger par les menaces agitées devant les grévistes de voir leur agence fermer si elles ne cessent pas leur grève !
Mais il en faut plus pour les effrayer. Elles savent que la société a besoin d’elles, de leur travail. Les passants qui les encouragent, les militants qui les ont applaudi – nettement plus que les autres, il nous a semblé… – et même les cadres qui refusent de lâcher plus que des aumônes : tout le monde le sait. Il faut maintenant en arracher ce qui reste en définitive la seule mesure de l’utilité sociale que notre société reconnaît : un salaire décent.