Dans de nombreuses entreprises du privé comme dans le secteur public, beaucoup de luttes ont lieu pour de meilleurs salaires, l’amélioration des conditions de travail, etc. Mais elles se produisent boîte par boîte, service par service, ce qui rend plus difficile de construire un rapport de forces favorable. Après plusieurs semaines de lutte contre la réforme des retraites et le vote de la loi Woerth-Fillon, les mobilisations sociales ont marqué une pause. Pour tous ceux qui s’étaient mobilisés pendant des mois, il était difficile d’admettre que des millions de grévistes et de manifestantEs soutenuEs par une large partie de la population n’aient pu faire reculer le gouvernement.
Dans le privé, avec l’ouverture des négociations annuelles obligatoires censées porter essentiellement sur les salaires, c’est un tout autre niveau d’affrontement qui se développe. Là, on est boîte par boîte, dépendant de traditions de lutte, des rapports de forces syndicaux, de l’existence même d’implantation syndicale ou de présence politique. D’où l’extrême diversité des revendications, des mobilisations et des résultats. Les employeurs, tout en s’abstenant en général de proposer un 0 % provocateur, limitent la plupart du temps à 1 % ou 2 % les propositions d’augmentation générale.
En face, les salariéEs sont bien conscientEs que cela ne permet pas de faire face aux augmentations brutales des carburants, des produits de première nécessité, du gaz, de l’électricité, etc. Les luttes sont donc nombreuses, diverses : Aurys (Carentan), Brink’s (Perpignan), Thyssen, Sita (Castanet), Renault (Guyancourt), La Coupole (Paris), Ducros, plusieurs entreprises dans la presse, Thalès (ensemble du groupe), Toyota (Somain puis Onnaing), General Motors (Strasbourg), Ford, Foresa (Gironde)... Les salaires ou, plus généralement, les revenus sont souvent au centre des revendications. Mais comme conséquence d’un rapport de forces dégradé, les revendications tournent aussi autour de primes, d’augmentations en pourcentage qui sont loin de répondre aux exigences. Et souvent, en même temps, les travailleurs avancent des revendications sur les conditions de travail (cadences, horaires, réorganisations, pression de la hiérarchie). Les mobilisations recueillent le soutien de la grande majorité des salariéEs, mais les grèves sont le fait de grosses minorités ou de petites majorités qui maintiennent le dialogue avec les non-grévistes, obtiennent leur soutien matériel mais ne gagnent pas l’extension. Mobilisation limitée On retrouve les mêmes caractéristiques dans les mobilisations dans le secteur public (santé, télécommunications, Pôle Emploi). Ainsi les mobilisations contre l’accord sur les non-titulaires, certes peu portées par les organisations syndicales, n’ont pas pris l’ampleur nécessaire pour faire reculer le gouvernement de manière significative. Dans un autre domaine, les mobilisations du samedi 2 avril pour la défense de la santé illustrent cette situation : un sentiment d’injustice profond, une volonté affichée de s’opposer à la dégradation de la situation, et malgré un large éventail d’organisations appelant, une mobilisation limitée. Au total la persistance d’un chômage de masse, notamment chez les jeunes, avec son atmosphère de menace permanente sur l’emploi construit un fond de résignation sociale. En outre, le patronat, combinant politiques de répression et d’intense propagande économico-sociale, veille à saper les montées revendicatives avant même qu’elles ne prennent la forme de luttes ouvertes. L’existence de ces résistances, de ces luttes fournit malgré tout les éléments d’une amélioration du rapport de forces, tout en passant par la reconstruction des outils syndicaux, des éléments d’auto-organisation qui pourraient ouvrir la voie à des luttes coordonnées, généralisées, à la hauteur des urgences sociales.
Robert Pelletier