Mois après mois, la liste des groupes de presse frappés par un « plan social » ou un plan de départ volontaire ne cesse de s’allonger : Libération, Nice-Matin, Sud-Ouest, Lagardère, Mondadori, Courrier international…
Des titres sont vendus au rabais, dépecés, revendus à des structures vautours. Dans les sièges éditoriaux, l’heure est aux économies : uniformisation de l’information, mutualisation des contenus, sous-traitance des activités marketing, informatique, paie… polyvalence systématisée.Malgré ces « remèdes de cheval », et pour une part à cause d'eux, la presse papier va mal. Les mesures d’économie exercées contre les autres maillons de la filière, l’impression et la distribution, ne suffisent pas à stabiliser le niveau de rentabilité exigée par les actionnaires. Et le développement de l’activité sur support numérique n’a pas à ce jour enrayé l’érosion des comptes, tout en détournant toujours plus de lecteurs du support papier.
Financiarisation, concentration, numérisationLes capitalistes ont beaucoup investi dans le monde des médias. Bouygues, Dassault, Pinault, Arnault, Tapie, Bolloré… en sont des acteurs de référence. Ils en attendent un profit financier, mais aussi une capacité à « fabriquer » du consensus social. La concentration atteint un niveau inquiétant en presse régionale. Le Crédit mutuel, après avoir acquis l’Est républicain, détient aujourd’hui plus de 10 titres en région. Cette mainmise de la finance sur la presse met à mal toute notion de pluralisme. Mais le média papier est aussi largement percuté par le poids grandissant des médias numériques. La diffusion de la presse écrite payante a diminué de 15 % ces dernières années. Les recettes publicitaires sont également en chute libre. Les quotidiens nationaux et régionaux sont les premières victimes du numérique et de sa production d’informations et de débats à jet continu. Les géants du Net (fournisseurs d’accès, fabricants de logiciel…) accaparent des contenus à bas prix, captent une part croissante des recettes publicitaires et mettent à disposition de l’e-commerce fichiers et profils de lecteurs.La création par les journaux de déclinaisons numériques des titres papier ne compense pas la baisse de leurs ventes et de leurs revenus publicitaires. Et surtout pas la diminution du nombre de leurs salariéEs...Les aides à la presse sont pourtant significatives mais elles restent bien trop dirigées vers les titres de presse magazine de « loisirs ». Les journaux de presse d’information politique en auraient pourtant bien besoin, à l’heure où les titres liés peu ou prou au PCF sont en péril, de Liberté hebdo à La Marseillaise.
Quelle mobilisation des salariéEs de la presse ?Force est de le constater, chaque maillon de la filière presse s’est « débrouillé » à son propre compte, avec à la clef la disparition de milliers d’emplois. En imprimerie de presse et dans la distribution, les cessations d’activité anticipées des travailleurs du Livre ont limité la conflictualité sociale. Dans les sièges éditoriaux, beaucoup de moins de 40 ans choisissent les plans de départs volontaires ou les modes conventionnels de rupture propres aux journalistes. D’autres salariéEs, se considérant comme « privilégiéEs », acceptent les remises en cause des statuts de la presse. Le rapport de forces n’est pas susceptible d’enrayer la mécanique de destruction d’emplois.Il est vrai que le transfert de salariéEs du papier vers le numérique n’est en rien évident. Pour les éditeurs, le numérique, ses jeunes pousses allaitées à Internet, est une opportunité rêvée pour raboter les acquis conventionnels de la presse et leurs « rigidités ». Aucune mobilisation n’a à ce jour contrarié ce constat. Pourtant les revendications ne manquent pas : effectifs, qualifications numériques, durée du travail, etc.Cette situation interpelle la notion de « solidarité professionnelle », sans parler de l’interprofessionnelle, au cœur du discours de la direction de la CGT, en particulier.
Retrouver sur tout support une info pluraliste et démocratiqueCulture du fait divers, exclusion des couches populaires, dogmatisme libéral… les recettes médiatiques en vigueur n’ont rien pour passionner les lecteurs. Comment s’étonner alors qu’en particulier les jeunes préfèrent s’orienter vers les solutions ouvertes de débats et d’échanges proposées, pour le meilleur et pour le pire, par Internet et ses réseaux sociaux ? La presse doit devenir un acteur essentiel du débat démocratique et donc pluraliste. En ce sens, si un secteur privé médiatique doit subsister, la loi doit garantir l’indépendance des rédactions vis-à-vis des actionnaires et la confidentialité des sources. Ces actionnaires privés ne doivent pouvoir détenir qu’un seul titre de presse. Un seuil de concentration capitalistique, ainsi que d’audience ou de diffusion, doit être déterminé. Le nombre de titres ou de canaux pouvant être détenus par une personne, un groupe de personnes ou une entreprise, doit être limité à un seul. Enfin, la loi doit interdire à des entreprises bénéficiant des commandes publiques la détention, même indirecte, de médias. En dernière instance, les médias constituent un bien commun qu’il faudra soustraire à l’emprise capitaliste.
Quentin D.