Entretien. En 2015, notre camarade Yann Le Merrer était révoqué de son poste de fonctionnaire à La Poste, une première depuis 1951. Mais en ce mois de mai 2017, la décision du tribunal administratif (TA) est tombée : la décision en date du 9 janvier 2015 portant sanction disciplinaire à son encontre est annulée, et La Poste doit donc le réintégrer dans ses fonctions, dans un délai d’un mois à compter de la notification de la décision. Pour nous, Yann revient sur cette longue bataille.
Peux-tu revenir (succinctement) sur le long déroulé des attaques de La Poste à ton égard ?
En introduction, je pense qu’il faut d’abord souligner que les attaques à mon égard sont à replacer dans un contexte général où la direction de La Poste sanctionne de plus en plus toute contestation sociale pendant qu’elle accélère la suppression de dizaines de milliers de postes. Pendant longtemps, je n’ai pas été inquiété alors que mes camarades les plus proches se faisaient taper dessus. C’est en 2010 que la boîte a décidé de me sanctionner lourdement pour la première fois en m’infligeant deux ans de suspension dont 6 mois avec sursis suite à une grève pour, entre autres choses, « participation active à une séquestration » pour laquelle j’ai été relaxé par la cour d’appel de Versailles. En octobre 2013, j’ai à nouveau été suspendu 9 mois pour « incitation à la grève illicite ». À mon retour en juillet 2014, à la fin d’un conflit long de 174 jours, j’ai été placé en mise à pied conservatoire, puis, en janvier 2015, révoqué pour « prises de parole non autorisées », « intrusions dans les établissements », « non-respect des consignes de sécurité » et « refus d’obéissance ».
Cette belle palette de sanctions diverses ont toujours été consécutives à des grèves, et il va sans dire que je suis loin d’être le seul à m’être retrouvé suspendu ou licencié. Le caractère particulier de mon cas n’a de spécifique que le statut, puisque c’était la première fois depuis plus de 60 ans qu’un fonctionnaire était révoqué pour des faits liés à l’activité syndicale.
Après le jugement du TA de la semaine dernière, quelles sont les suites juridiques de part et d’autre ?
En ce qui nous concerne, nous allons voir ce que La Poste fait, car il est possible qu’elle rechigne à me réintégrer, même si l’injonction juridique lui donne un mois pour le faire. Évidemment, il y a aussi la question financière qu’il va falloir régler. Mais ce n’est pas l’essentiel car, de notre point de vue, la victoire est déjà écrasante puisque le tribunal a jugé qu’aucun des faits reprochés n’était fautif. Pour cette raison, car elle vient d’être battue à plate couture, il y a de fortes chances que la direction de La Poste fasse appel. Elle a mis des enjeux politiques et symboliques tels dans la balance qu’il serait étonnant qu’elle ne conteste pas le jugement.
Comment expliques-tu cet acharnement qui vaut aussi pour Gaël Quirante et d’autres camarades ?
Je pense t’avoir déjà répondu en partie : La Poste ne veut plus de militants de terrain, de militants lutte des classes, dans les pattes. Elle a connu une profonde mutation en quelques années et favorise, à travers un nombre d’instances de « concertation » croissant, le syndicalisme d’accompagnement. Notre présence systématique dans les bureaux, notre propension à faire la publicité de chaque grève, notre efficacité juridique et la recherche permanente des facteurs de convergence des luttes, est un vrai problème pour la boîte. Cela l’est d’autant plus que nos actions sont relativement efficaces et que nous avons fait reculer nos patrons à de nombreuses reprises. Une certaine frange syndicale et la direction se répandent en invectives et nous traitent de gauchos jusqu’au-boutistes minoritaires, mais les élections professionnelles (entre autres) font systématiquement la démonstration que les postiers nous reconnaissent. Sud Poste 92 est aujourd’hui largement majoritaire sur les Hauts-de-Seine, tous secteurs confondus.
La Poste supprime des milliers d’emplois par an depuis près de quinze ans, et elle veut clairement faire disparaître les gens comme nous de son périmètre.
Après ces années de procédures, d’interdiction de travail, de privation de salaire, dans quel état d’esprit es-tu ?
Ça, c’est la question à mille euros ! Je suis content du revers cinglant que vient de prendre La Poste, mais je me demande quand même quelle va être la suite. Il va falloir que je retrouve quelques repères à n’en pas douter mais cela devrait le faire. J’ai aussi envie d’en découdre avec ces gens qui pensent pouvoir faire n’importe quoi avec les travailleurs et qui usent de la méthode, pas très neuve, de la matraque. Mais bon, on verra.
Une chose est sûre, j’ai reçu des centaines de messages de félicitation et j’ai été surpris par le nombre de gens qui me disaient que cette victoire leur remontait vraiment le moral. C’est très sympa, mais je suis renforcé dans l’idée que ce ne sont pas les tribunaux qui nous feront gagner la bataille sociale mais les luttes que nous porterons et développerons. La période qui vient s’annonce riche en attaques contre notre camp, et il faut aborder le futur proche avec sérénité car nous avons la force de gagner.
Propos recueillis par Robert Pelletier