Entretien avec Jean-Pierre Galland, président du Collectif d’information et de recherche cannabique (Circ).
Cette année, c’est le 40ème anniversaire de la loi de 1970, qui a fixé le cadre de la politique antidrogue en France. Peux-tu nous replacer le contexte et les évolutions de la politique répressive ?
40 ans, cela fait bien longtemps qu’elle a été votée. Dès qu’elle a été votée, elle était pratiquement inapplicable. On laissait au magistrat le choix de «soigner» ou pas l’usager de drogue. Il y avait à l’époque deux théoriesqui s’affrontaient : celle du ministère de l’intérieur qui était la répression et celle du ministère de la santé pour qui le drogué est un malade. En fait, ce sont les tenants de la répression qui l’ont emporté, ce qui fait que l’on a longtemps négligé les gens qui avaient des problèmes avec les drogues, car le magistrat disait d’aller se faire soigner mais le médecin n’était pas tout à fait d’accord. On ne peut soigner quelqu’un qui est malade de l’usage que s’il en fait la demande. Donc dès le départ, c’était foutu. Les drogués ont vite réagi puisque l’appel du 18 joint date de 1976. Déjà en 1976, les usagers étaient conscients que le cannabis est une des drogues les moins dangereuses parmi celles qui existent, légales ou illégales, et qu’on ne pouvait pas le considérer comme d’autres drogues, qui sont plus difficiles à gérer. Il y a eu tout un mouvement qui s’est fait à ce moment là.
A l’époque, cette loi a fait partie d’une vague de loi après 1968 appelée «loi anticasseurs», qui ciblait la jeunesse et les mouvements d’extrême gauche. Peux-tu nous en dire plus ?
On était dans un contexte anti-jeune. Les jeunes faisaient peur. L’opinion publique avait peur que sa jeunesse devienne «folle», en quelque sorte. C’est le moment où on a voté la loi Marcellin, qui étaient des lois particulièrement dures. On a créé une nouvelle classe, la classe des toxicomanes, après les casseurs. Cela a été mal vécu par les jeunes, la loi est très dure, et elle n’a pas cessé de se durcir au fil des années. En 1976, lorsqu’il y a eu un élan autour de l’appel du 18 joint, les gens ont réussi à se faire un peu entendre. En 1978, une circulaire de Pierrefytte, demandait que l’usager de drogue ne soit plus poursuivit mais qu’on lui fasse simplement un rappel à l’ordre. Quand on se bouge un peu, cela sert. Puis 1981, le socialisme est arrivé. Tout le monde croyait qu’au moins l’usage de drogue serait dépénalisé. Or il ne s’est rien passé. Le discours de Monsieur et Madame Drogues au gouvernement était: «on a signé des conventions internationales, on ne peut pas revenir dessus». Par contre, quand la droite est revenue au pouvoir en 1986, avec Chirac et Albain Challandon au ministère de la justice, comme à ses habitudes, elle a montré ses muscles: «face au fléau de la drogue, on abandonnera jamais, on ne va pas laisser pourrir la jeunesse». Donc ils ont voté de nouvelles lois, qui sont particulièrement dures là aussi. C’est une loi qui est censée distinguer l’usager simple de l’usager dealer. Or en fait, ce que la loi appelle usager dealer est bien souvent ce que l’on appelle un usager «partageur», le plus débrouillard de la bande, qui va acheter du cannabis en plus grosse quantité car c’est moins cher et dont le seul bénéfice est de fumer quelques pétards et payer son essence. Il y a eu un cas symbolique, un gentil étudiant qui s’était fait prendre comme çà et qui avait naïvement avoué qu’il faisait çà depuis 3 ou 4 ans avec des potes et on l’a accusé d’avoir vendu 27 kg de cannabis et il s’est retrouvé en prison. Devant tant d’absurdité, ses parents l’ont même soutenu, ses «clients» ont formé une association de soutien pour pas qu’il aille en prison.
Y a-t-il eu des différences entre les politiques de gauche et de droite au cours de ces 40 années ?
Il y a toujours eu des résistances, plus ou moins importantes, qui amènent des résultats mais au bout du compte, c’est très peu. Il y a toujours ce discours entre la droite, qui est très conservatrice, et la gauche qui serait «laxiste» mais qui en réalité ne fait rien contre la politique répressive. En 1990, certaines associations naissent car les socialistes n’ont pas fait leur boulot, pour essayer d’interpeller le PS. C’est là que naissent le CIRC, ASUD, AIDES. Le gouvernement n’ayant rien fait, des associations prennent le relais. La loi ne change pas, d’un gouvernement à l’autre. Quand c’est la gauche, on fait des circulaires, enjoignant le parquet de ne pas poursuivre l’usager simple, et quand la droite est au pouvoir, on fait d’autres circulaires disant que lorsqu’on prend un usager, il faut le signaler à l’autorité… C’est une espèce de va-et-vient mais au fond, c’est la loi de 1970, qui n’a pas changée, de plus en plus dure contre le trafic, assimilé au terrorisme. Grâce au travail des associations, en 1999, on sent un changement, beaucoup moins idéologique et plus pragmatique, avec l’arrivée de Nicole Mestrachi, à la tête de la MILDT. Ils ont sorti un petit bouquin «Dogues: connaître plus, risquer moins». Ce qu’ils disaient du cannabis était quelque chose de tout à fait entendable par le CIRC. La philosophie de ce petit fascicule était «qu’un monde sans drogue n’existe pas», ce qui était une véritable révolution, alors que cela devrait être une évidence pour tous. Quand ils ont intégré dedans l’alcool et le tabac, il y a eu des protestations. Pourtant, c’est une évidence que l’alcool et le tabac sont des drogues beaucoup plus difficiles à gérer que le cannabis. Les alcooliers ont aussitôt fait une pétition déclarant que l’alcool n’était pas une drogue mais un «alicament»(aliment-médicament) ! A cette période, on croyait que quelque chose allait se passer, mais le gouvernement Jospin s’est contenté de la parlote et n’a rien fait. La MILDT s’était engagée pour qu’on ne poursuive plus au nom de l’article L630 (criminalisant le simple fait de parler «favorablement» du cannabis), avait promis que cet article serait abrogé, article dont le CIRC a durement fait les frais. Mais au bout du compte, il n’y a pas eu une réelle politique sur les drogues. On a quand même senti un changement dans l’opinion. Quand il y a eu la campagne présidentielle de 2002, tous les médias posaient la question aux ténors qui se présentaient, les deux soutenants des positions proches des nôtres étant Olivier Besancenot et Dominique Voynet. Les socialistes tenaient un discours à double tranchant.
On est donc resté dans une situation absurde: la loi est très dure et pourtant la consommation du cannabis est devenue massive. Pourquoi la légalisation est la seule solution sérieuse ?
Dès 2002, l’offensive idéologique réactionnaire a repris. Le sénat a publié un célèbre rapport: «Drogues, l’autre cancer», qui visait à saper le travail de Nicole Mestrachi, alors que celle-ci avait cherché à faire évoluer les mentalités, sans ménager la gauche au passage. Ce rapport présente le cannabis sous un jour très défavorable pour la santé. Le gouvernement a insisté en lançant une campagne de «prévention» auprès des jeunes où ils caricaturaient. Ce type de campagne a pour résultat que les ados ne croient pas au discours de prévention, les parents «flippent total». Le standard de Drogues-infos-service a bien failli exploser face aux parents qui pensaient que leur fils allait devenir schizophrène parce qu’il fumait. Ce n’est pas vraiment de la prévention.
Sarkozy, aujourd’hui au pouvoir, est un des promoteurs du plan de prévention de la délinquance de 2005, renforçant la loi de 1970. Ces gens là sont bornés car si on cherche des avantages à la loi de 1970, on n’en trouve pas. La prohibition n’a fait que dynamiser le trafic et multiplier le nombre de consommateurs. Il y a eu une très forte augmentation de la consommation dans les années 1990. On dépasse largement tous les pays européens en terme de consommation chez les jeunes (50 % ont consommé du cannabis dans le mois précédent), alors que l’on a les lois les plus répressives. Toutes les enquêtes démontrent que quelque soit la répression, on ne change pas l’usage. La répression en France est terrible: 110000 interpellations, 6000 incarcérations pour usage de drogue chaque année. Les flics sont poussés à faire du chiffre avec la politique de Sarkozy. Arrêter un fumeur de cannabis avec une petite boulette est une affaire résolue et va «embellir» les statistiques. Ce qui est étrange, c’est que la prohibition, la répression perdure. On est revenu 20 ans en arrière, avec un discours stigmatisant sur le cannabis, sur les usagers avec une politique uniquement répressive. On dramatise la situation, cela n’a rien à voir avec une politique de prévention, d’éducation. Le cannabis est maintenant intégré dans nos mœurs, notre culture; on fume à tous les âges et dans toutes les classes sociales. Parmi toutes les drogues que l’on nous propose, le cannabis est une des moins dangereuses, une des plus faciles à gérer, qui ne crée pas de dépendance physique, mais psychique. Ce n’est pas innocent, il y aura toujours des gens qui feront un mauvais usage du cannabis, comme ils l’auraient fait avec une autre drogue, mais dans un système de prohibition, on les emmène dans des centres gérés par on ne sait qui, avec quel discours? C’est absurde, dans quelle société vit-on? Il y a une inégalité dans la répression. On réprime toujours les mêmes, les jeunes des quartiers populaires. On ne réprime pas dans les quartiers chics alors qu’on y fume tout autant que dans les banlieues. Il faut arrêter avec cette politique. La seule solution est de légaliser le cannabis, sa production, sa distribution et sa consommation.
Comment la légalisation peut-elle être mise en œuvre ?
Cela ne peut se faire que si on implique les jeunes des banlieues. Il faut faire tout d’abord un travail d’éducation car ils n’ont pas envie. Actuellement, la drogue permet à certains de survivre. On sait bien qu’il y a beaucoup de chômage et la drogue joue un rôle économique non-négligeable. Ils ne sont pas très chauds pour la légalisation, pourtant il faudrait pouvoir les impliquer, car ce sont eux qui subissent la répression frontale. Cela ne va pas être facile, c’est un vrai problème. Les «cannabistrot» ne peuvent se monter sans eux. Il faut aussi former à la prévention ces jeunes. C’est ce qui a été fait avec succès en Hollande, où les seuls réels problèmes viennent des pays où cela est prohibé. Dans un premier temps, comme beaucoup d’autres, je pense qu’il faut dépénaliser l’usage de toutes les drogues, jusqu’à un certain seuil, comme cela a été fait en république tchèque. 15g de cannabis, 2g de cocaïne, 1g d’héroïne, ils ont dépénalisé totalement l’usage de toutes les drogues. Ensuite, pour le cannabis, qui ne pose pas de problème de santé publique, il faudrait le légaliser, monter, comme en Espagne, des «cannabis social club», que les gens voient que cela marche, que cela ne pose pas de problème. La légalisation n’a jamais produit d’explosion de la consommation. La France est donc très en retard et a un nombre de fumeurs incalculable! Aux USA, 42,5% de la population a déjà goûté au cannabis, contre 19% en Hollande, alors qu’aux USA, la loi est «hard». La répression n’a rien à voir avec le nombre d’usagers.
Aujourd’hui, il y a un petit frémissement. Les usagers en ont marre de se faire traquer. La question du permis de conduire touche beaucoup de gens. Les tests salivaires ne sont pas fiables, si on a fumé trois jours avant, on peut être contrôlé positif. Les gens se posent des questions sur la validité de la prohibition. Le cannabis est également utilisé de plus en plus pour un usage thérapeutique, autorisé en Allemagne, en Finlande, en Israël, en Suisse, en Italie, en Espagne, en Californie… Tout çà n’est pas de la blague. Il y a de plus en plus de gens favorable à un changement de loi, d’autant plus que la loi devient de plus en plus dure et est appliquée de manière absurde. On ne peut pas mettre en prison tous les fumeurs, les stages, aux frais du contrevenant, ne servent à rien. La guerre qu’ils prétendent mener contre les cités, avec beaucoup de violence, ne peut qu’y mettre le feu. Cela crée des tensions énormes, les jeunes ont le sentiment qu’on les attaque. Donc ils répondent, c’est tout à fait logique. Il est donc temps de changer de politique. On ne peut pas faire autrement. Tout le monde en a marre de Sarkozy. Le cannabis est un tout petit problème mais il fait partie d’un tout. Nous invitons donc tous ceux qui le souhaitent à venir crier leur colère le 18 juin. Ils faut que les premiers concernés, les fumeurs, sortent dans la rue. S’ils sont nombreux, je pense qu’on les écoutera. Les fumeurs sont des poumons, mais ils ont aussi un cerveau! Ce sont aussi des électeurs.