Samedi 31 octobre, la Marche de la dignité et contre le racisme a réuni près de 10 000 personnes, en faisant le lien entre différentes luttes : antiracisme, anti-impérialisme, anti-sexisme, contre les violences policières…
C’est un succès pour les organisatrices, le collectif MAFED, réunissant des personnalités et des militantes issues d’organisations de l’immigration et des quartiers populaires, avec Angela Davis comme figure de proue d’un large collectif de soutien, dont le NPA.
Continuité et renouveau
Jusqu’aux années 1980, c’est d’abord sur les lieux de travail que l’on s’organisait pour résister au patronat, en y construisant sa conscience de classe. Mais le chômage et la précarité ont renvoyé des millions de travailleurEs chez eux, c’est à dire dans les quartiers populaires. En parallèle, le mouvement ouvrier traditionnel n’a pas su recréer les liens avec les populations et les militantEs de ces quartiers. Quant aux organisations antiracistes, elles ne sont jamais parvenues à favoriser l’auto-organisation des oppriméEs, quand elles ne l’ont pas freinée dans les décennies qui ont suivi la grande Marche pour l’égalité de 1983.
À l’automne 2005, la jeunesse des quartiers populaires choisit l’émeute comme forme d’expression politique, en réponse à la violence subie par toute une population : violence policière continue, précarité, racisme, exclusion sociale... Dix ans plus tard, ces violences sont plus que jamais là, d’autant que l’État a renforcé discriminations et outils de répression tandis que la situation sociale se dégradait encore.
Des discriminations spécifiques
Injustices et humiliations quotidiennes constituent une telle violence que celle-ci ne peut que se retourner contre celles et ceux qui la représentent : en premier lieu les flics, mais aussi les personnels de Pôle emploi, les enseignantEs, les personnels de transports en commun...
Depuis les attentats du 11 septembre 2001, les discriminations et la répression ont pris une nouvelle dimension. La « lutte contre le terrorisme » est devenue l’alibi des attaques islamophobes et, au-delà, contre de nombreux droits démocratiques. Toute une série de lois discriminatoires et liberticides ont été mises en place. Elles n’ont aucunement été remises en cause par le PS, bien au contraire.
De plus, les politiques de « rénovation urbaine », sous le prétexte de mixité sociale, dispersent et repoussent les classes populaires toujours plus loin des centres urbains. L’actuelle diminution drastique des subventions aux associations fragilise les cadres de solidarité existants. Le contrôle renforcé des chômeurEs, la criminalisation des militantEs, participent aussi à la montée des tensions.
L’indispensable auto-organisation
Nombre de militantEs des quartiers ont compris l’urgence d’une auto-organisation des quartiers populaires et des personnes racisées, et tiré les bilans de l’instrumentalisation de la marche de 1983 par le PS et SOS-Racisme. Ainsi, les organisations MIB, PIR, FSQP, FUIQP... sont autant de tentatives de répondre à cette nécessité. De leur côté, la gauche et l’extrême gauche ont souvent montré de la méfiance vis-à-vis des « quartiers », parfois teintée d’islamophobie.
Lors des émeutes de 2005, la réponse des organisations politiques et syndicales avait été dramatiquement faible. L’absence du PS ou du PCF, les positionnements de LO ou du mouvement syndical dans son ensemble, n’ont pas aidé à tisser des liens de confiance, à construire une conscience collective, une conscience de classe. Les réactions de certaines de ces organisations après l’attentat contre Charlie ont encore approfondi le fossé.
Il est donc essentiel pour les militantEs anticapitalistes de favoriser la construction d’un mouvement autonome, et de renforcer les liens entre celui-ci et le mouvement ouvrier traditionnel. Cela ne signifie ni absence de positionnements critiques ni effacement de la recherche de l’unité du prolétariat. Mais cela nous impose une certaine modestie face à des mouvements qui se construisent bien souvent sans nous.
Car la mobilisation massive du prolétariat pour le changement social ne pourra se faire sans ceux et celles qui en représentent une partie essentielle, souvent jeune, et la plus violemment frappée par les attaques de l’État et du patronat.
Elsa Collonge et José Rostier