Publié le Vendredi 8 janvier 2010 à 16h22.

Jean-Marc Rouillan: « Je suis emprisonné depuis treize mois pour une phrase » (Libération Marseille)

Atteint d'une maladie orpheline rare, la maladie d'Erdheim-Chester, le cofondateur d'Action directe réclame un transfert du centre de détention de Muret vers la Pitié Salpêtrière à Paris, pour qu'on le soigne. Sans succès. Alors, Jean-Marc Rouillan écrit. Sur la maladie. Sur la détention. « Je suis emprisonné depuis treize mois pour une phrase », indique-t-il dans un nouveau livre. Cette phrase qu'il avait lâchée à L'Express et qui a été interprétée comme une absence de regrets. Lire la suite

 

Dans ce livre qui sort le 20 janvier chez Agone, éditeur marseillais (1), Rouillan affirme que, lorsqu'il était encore détenu aux Baumettes, il a reçu la visite de deux magistrats du Parquet.

L'un lui a dit, selon Rouillan: « Il est indispensable de faire preuve d'un repentir. Sinon, rien n'est possible. »

Il a rétorqué: « Je suis emprisonné depuis treize mois pour une phrase. »

Drôle de face-à-face. « L'Etat est prêt à me liquider pour quelques mots exactement comme je suis prêt à mourir pour une histoire vieille de trente ans. »

L'ancien d'Action directe, condamné deux fois à perpèt' pour complicité d'assassinats, a déjà vécu 23 ans derrière les barreaux.

Il a cru en sortir, goûtant pendant dix mois à la semi-liberté, à partir de décembre 2007.

Mais une phrase ambiguë à L'Express, interprétée comme une absence de regrets sur les assassinats de Georges Besse et René Audran, pour lesquels il a été condamné et qu’il n’a pas le droit d’évoquer, lui a valu de repartir en taule (2).

Ironiquement, en préambule, ses éditeurs préviennent: « Par la révocation de sa semi-liberté et son renvoi en prison début octobre 2008, l'administration pénitentiaire et le juge d'application des peines ont offert à l'auteur les conditions nécessaires à la poursuite de son oeuvre. »

Car « c'est une fois le quotidien de Jean-Marc Rouillan redevenu carcéral à plein temps que l'écrivain est revenu habiter le détenu ».

Il remplit des feuilles à carreaux d'écolier. Il (s')observe: « Le temps carcéral, pour les très longues peines, est un analgésique qui te laisse juste assez de vie en toi pour que tu puisses t'observer mourir. »

Et son témoignage donne l'impression, pour Agone, « que le dernier moyen fourni à l'auteur est de jouer cette fois lui-même le rôle du mort ».

Depuis qu'il se sait atteint de cette maladie orpheline rare, détectée en avril 2009, Rouillan réclame d'être transféré à la Pitié Salpétrière à Paris.

C'est le seul hôpital capable, à ses yeux, de le soigner correctement, car « le seul centre français possédant une expérience clinique (et non pas seulement théorique) de la maladie », selon le docteur Patrick Barrot, anesthésiste, ami et médecin traitant de Rouillan.

L'administration pénitentiaire n'a pas fait suite à cette demande.

Son avocat, Me Chalanset, a porté plainte, début décembre à Toulouse, pour non-assistance à personne en danger, estimant que son client est privé de soins.

Mais l'inspection générale des affaires sociales (IGAS) a estimé, après enquête, qu'il n'y a « pas d'insuffisance » dans la prise en charge du détenu Rouillan, transféré fin octobre des Baumettes, à Marseille, vers le centre de détention de Muret, près de Toulouse.

« Jusqu'à présent, le traitement qui vous a été proposé est conforme aux recommandations actuelles qui s'appliquent à votre affection », lui écrit l'inspecteur général, le 4 décembre.

Rouillan réclame aussi une suspension de peine pour raisons de santé. Sans succès.

Cet homme de 57 ans, à qui les jeunes en taule donnent du « Papy » ou de « L'Ancien », sait que l'on va douter de sa maladie: « Certains pisse-froid vont m'accuser d'avoir tout inventé. »

Et il fait part de son pessimisme: « On me soignera quand les séquelles seront irrémédiables, c'est-à-dire quand je serai crevard de chez crevard! »

Dans ce livre, il revient aussi sur ces « regrets » que certains veulent l'entendre exprimer.

« Ne voir aucune arrogance dans ma position de résistance. Peut-être de l'orgueil », écrit-il, face à des institutions qui « savent que, sans nos regrets, la boucle ne serait jamais bouclée. Voilà le sens de l'acharnement judiciaire. »

Rouillan se dit juste « fidèle », d'une fidélité « orpheline », au « camarade garotté un matin dans une prison catalane; à celui assassiné d'une balle dans la nuque; à celui devenu fou sous la torture ».

Aujourd'hui, il lui reste l'écriture. Celle d'un type, « guenille d'homme, trouée de part en part », qui souffre de la détention mais a peur de la liberté: « La liberté fait peur car le prisonnier sait qu'il découvrira à ce moment-là, en franchissant la porte, l'ampleur de l'amputation intime qu'il a subie au cours de ces années. »MICHEL HENRY

(1)  Paul des Epinettes et moi. Sur la maladie et la mort en prison. Agone. 225 pages, 10 euros.

(2) Rouillan, interrogé sur l’assassinat de Georges Besse le 17 novembre 1986, y répond: «Je n’ai pas le droit de m’exprimer là-dessus… Mais le fait que je ne m’exprime pas est une réponse. Car il est évident que, si je crachais sur tout ce qu’on avait fait, je pourrais m’exprimer. Par cette obligation de silence, on empêche aussi notre expérience de tirer son vrai bilan critique.»