« Au nom du ministère, et pour défendre l’honneur de tous les policiers, je dépose plainte ». Dans un tweet publié jeudi dernier dans la matinée, Darmanin annonçait son intention d’aller en justice contre notre candidat Philippe Poutou. Une volonté d’intimidation pour faire taire, mais aussi et peut-être surtout une nouvelle illustration de la pression politique qu’exerce l’extrême droite sur le pouvoir actuel.
Revenir sur l’enchaînement des faits est nécessaire pour éclairer la dynamique politique qui a conduit l’actuel ministre de l’Intérieur à menacer un candidat à l’élection présidentielle, par ailleurs élu municipal dans une grande ville.
Répétition générale
Mercredi dernier, sur le plateau de France Info TV, Philippe était interrogé sur les propos de Dominique Lanoë, élu municipal de La France insoumise à Cachan (94), tenus fin septembre lors d’un conseil municipal : « Le but de la police est de protéger la population, il n’est pas de posséder des armes pour la tuer », paroles tenues dans le cadre d’un débat sur l’utilisation d’armes létales par la police municipale.
Déjà, c’est suite à une agitation entretenue pendant une dizaine de jours par la droite et l’extrême droite locales, relayée ensuite par des syndicats de police… puis par la diffusion d’un extrait de ce conseil municipal sur CNews, que la polémique avait éclaté, remontant jusqu’à Darmanin qui, dans une lettre, dénonçait des « propos inacceptables »...
D’où la question posée mercredi dernier à Philippe qui, lui, a répondu : « La police tue, évidemment la police tue ». « Steve [Maia Caniço] à Nantes, à Marseille pendant une manif des Gilets jaunes une dame qui fermait ses volets, Rémi Fraisse il y a quelques années… Il faudrait voir les chiffres précisément, mais, dans les quartiers populaires, c’est une quinzaine de jeunes qui sont tués par la police annuellement », répétant « La police a tué et elle tue. Après, on peut discuter : assassinat, meurtre, accident ou bavure, ou légitime défense bien sûr »…
L’extrême droite à la manœuvre
Dès la fin de l’émission mercredi soir, les syndicats policiers sont lâchés, réagissant aux propos de notre candidat sur les réseaux sociaux. Mais s’il apparaît que ce sont bien les plus réactionnaires qui ont donné le la de cette offensive, tous vont finir par se mettre au diapason, comme le montreront par exemple les interventions des différents représentants de l’Unsa-Police ou d’Alternative police CFDT (syndicats traditionnellement classés proches du PS) jeudi sur les chaînes d’information en continu.
Tout un symbole, c’est (toujours) sur CNews que, dès jeudi matin, un représentant de syndicat policier, Matthieu Valet, porte-parole et secrétaire national adjoint du syndicat indépendant des commissaires de police, habitué des plateaux télés, réclamait « justice » : « On a des élus qui font des policiers une cible. Il ne faut pas avoir la main qui tremble, M. Poutou est auteur présumé, pour moi, d’acte de diffamation. Lorsqu’on dit des choses qui ne sont pas vraies pour atteindre à l’honneur et la réputation de la police, on doit être poursuivi en justice ».
Et Darmanin d’obéir peu de temps après, en annonçant donc par tweet le dépôt d’une plainte contre Philippe pour, selon son entourage (relayé par l’AFP), « injure publique »... suivi ensuite de l’annonce par Alliance police nationale, l’un des syndicats les plus extrême-droitisé, de se constituer partie civile… La messe est dite ?
Les fachos sont fâchés, mais les faits sont têtus
Comme l’ont montré différents articles, en particulier celui publié par Libération dans le cadre de sa rubrique « Checknews » (citant même des chiffres sourcés de l’IGPN supérieurs à ceux cités par notre candidat mercredi soir) ou les travaux publiés par Bastamag, Philippe Poutou n’a fait que décrire une triste réalité, largement documentée par ailleurs. Sans même parler du fait que tout cela se déroulait à trois jours du 60e anniversaire du massacre de centaines d’AlgérienEs par la police française le 17 octobre 1961… La raison de l’emballement du ministre de l’Intérieur, qui a peut-être un peu trop vite dégainé son tweet, est donc à rechercher ailleurs.
D’abord dans une situation politique et sociale, où ce pouvoir, fragilisé par différents épisodes de crises ces dernières années (des Gilets jaunes à sa gestion catastrophique de la pandémie), n’a que l’autoritarisme et l’intimidation comme mode de gestion garantissant sa capacité à mettre en œuvre sa politique. Si la base sociale s’est érodée, si le consentement n’est plus au rendez-vous, reste donc l’ensemble des « forces de l’ordre » comme pilier. Certes, nous ne sommes pas en dictature, mais la fuite en avant tant législative (l’empilement des lois liberticides) qu’au niveau des réponses violentes à toute opposition sociale, de rue, un peu significative, marque une accélération, une amplification que d’aucuns peuvent qualifier de signaux avant-coureurs de « fascisation ».
Et c’est bien parce qu’ils sont lancés dans cette folle logique pour imposer leurs politiques antisociales que Macron, Darmanin et leurs amis n’ont d’autre choix que de donner des gages aux secteurs les plus réactionnaires de la société, dont les syndicats policiers, particulièrement à l’offensive ces derniers mois, font sans nul doute partie. Avec derrière eux en embuscade tous les hérauts de la droite extrême et de l’extrême droite, Zemmour et Le Pen en tête.
Aussi, répétons-le, contre tous ceux-là, on ne nous fera pas taire.