À l’ère des technologies numériques, des avions sans pilotes et des missiles télécommandés, quelles formes prendrait un conflit mondial ? Cette question est au cœur d’un premier roman très réussi. Comment réagiraient les principales puissances de la planète si les systèmes informatiques civils (télécommunications, réseaux bancaires…) tombaient en panne les uns après les autres, après des piratages de grande envergure ? Et que se passerait-il si l’infra-structure militaire était elle aussi atteinte ? Les attaques cybernétiques font désormais régulièrement la une des journaux, et les États investissent massivement dans des structures de veille technologique et de contre-mesures informatiques. À partir de tous ces éléments, Goldstein imagine une intrigue géopolitique où la multiplication d’attaques informatiques conduit le monde au bord du chaos : tout part d’un renversement de direction à Pékin et du développement d’une stratégie de la tension à l’encontre de Taïwan, qui vise à obtenir de nouvelles technologies de maintien de l’ordre auprès des USA. Mais les meilleurs plans ont leurs failles et, petit à petit, les choses dérapent, plongeant tous les décideurs dans l’incertitude. Quels sont les ennemis, les alliés ? Qui ment pour préserver ses intérêts ? Les données circulant par le réseau informatique sont-elles fiables ?
L’auteur s’efforce d’appréhender le basculement du monde : dans la tragédie qu’il met en scène, la Chine tient désormais l’un des premiers rôles. Le récit s’appuie sur de nombreux faits réels, développés dans un appareil de notes qui permet des rappels intéressants, comme l’erreur informatique du 26 septembre 1983 en URSS, qui faillit déclencher l’escalade nucléaire. Il aborde en même temps les questions relatives au contrôle des populations et aux capacités de surveillance démultipliées par les technologies informatiques. Les controverses en cours autour des activités de Google et de son recueil de données viennent d’en souligner à nouveau les enjeux. Comme les révolutions arabes sont venues démontrer la puissance que représente l’outil internet du point de vue des mobilisations. Ces derniers événements mettent en relief l’une des lacunes du roman : l’absence complète des peuples, qui se trouvent relégués au rang de simple spectateurs des événements.
L’auteur a beau faire citer Jaurès par l’un de ses personnages : « D’une guerre européenne peut jaillir la révolution… mais aussi des crises de contre-révolution, de nationalisme exaspéré, de dictature étouffante, de militarisme monstrueux… » (p. 648), il n’en reste pas moins qu’il ne parvient à appréhender les événements que du point de vue des cabinets gouvernementaux. Pour contrebalancer cet aspect, il se concentre par moment sur le personnage de Julia, dont le libre-arbitre sera déterminant, ce qui crée des longueurs qui auraient pu être évitées. Malgré ces quelques faiblesses, Babel Minute Zéro est captivant et démontre que le roman peut tout à la fois divertir et se révéler un instrument d’exploration du réel particulièrement acéré !
Henri ClémentBabel Minute Zéro, Guy-Philippe Golstein, Folio Policier Gallimard, 8,20 euros