Après de nombreuses tergiversations qui ont mené à une menace de procès de la part des actionnaires de Twitter, Elon Musk a pris le contrôle de la plateforme au prix exorbitant de 44 milliards de dollars. Si la nouvelle est certes inquiétante, la propriété des moyens de communication par des milliardaires et des gros groupes industriels est aussi vieille que les médias commerciaux eux-mêmes.
L’entrée du milliardaire libertarien dans l’économie numérique a été littéralement fracassante. La première conséquence a été un plan massif de licenciements touchant la moitié des effectifs (de la direction aux équipes de recherche, de la modération au marketing). Soutenu par les Républicains, il déploie un management de la peur : les badges des salariéEs ont été désactivés pour les empêcher de rejoindre leurs bureaux.
La modification du modèle de la plateforme (avec l’entrée de la certification payante) a été aussitôt retirée suite à l’exode des grandes entreprises et des annonceurs qui craignaient fortement l’absence de modération dans les contenus. L’abonnement ou l’application de tarifs ne sont pas nouveaux dans l’économie de plateforme. D’autres plateformes comme Facebook proposent des fonctionnalités payantes qui favorisent une plus grande visibilité des contenus promotionnels ; les plateformes comme Netflix ou Spotify offrent des accès payants à des contenus spécifiques. Musk proposait par contre d’acheter directement de la crédibilité numérique en prétendant ainsi annuler les besoins en termes de modération du débat en ligne.
Un modèle économique opaque
Si le modèle de la publicité constitue la principale source de revenu, celui-ci ne fonctionne pas d’une façon optimale dans ce réseau social. Contrairement au cas de Google ou de Meta, Twitter est très dépendant des grands comptes et n’a pas réussi à développer des offres publicitaires adaptées aux petites entreprises. Le secret de Twitter semble résider avant tout dans le traitement des données. À la différence d’autres réseaux, celles-ci ont pour vocation d’être publiques et peuvent être visualisées et analysées à travers une multitude d’outils rendus disponibles par la plateforme. C’est donc son importance dans les études de marché et d’opinion en temps réel qui lui a apporté un certain succès.
L’illusion de la démocratie numérique
Le fait que la plateforme Twitter soit tombée dans les mains d’Elon Musk augmente le niveau d’inquiétude vis-à-vis de l’état déjà déplorable des démocraties bourgeoises. Les discours haineux se sont déjà déchaînés et démultipliés sur la plateforme depuis son acquisition. Espace propice à la polémique, celle-ci fonctionne en effet aussi comme un défouloir pour les ultra-libéraux et les courants conservateurs et d’extrême droite. La tension entre la rhétorique libérale de la libre expression et le confusionnisme instrumental au pouvoir s’inscrit donc dans un contexte où la concentration de la propriété des médias et les conflits d’intérêts qui en découlent menacent fortement le droit à l’information et la démocratie.
Le système de marchandisation des sphères de la communication répond en effet aux logiques propres à l’accumulation et à la surexploitation capitaliste.
Pouvons-nous sortir des GAFAM ?
Depuis l’annonce du rachat de Twitter par Elon Musk, des centaines de milliers d’utilisateurEs ont quitté l’oiseau bleu pour migrer vers Mastodon, un système open source de micro-blogging fondé sur la création de communautés décentralisées et autonomes, fonctionnant sans publicité et pouvant remplacer celles de Twitter. Envisager des alternatives aux GAFAM permet de les voir non pas comme des services gratuits mais comme des formes de marchandisation des communs de la communication. En ce sens, la critique de l’économie politique d’Internet doit pouvoir s’inscrire dans la critique du capitalisme en tant que système global de domination économique et culturelle.