Le rapport Bockel sur la prévention de la délinquance juvénile est sorti le 3 novembre. Nous avons demandé à Maria Inès, co-secrétaire générale du SNPES-PJJ/FSU, d’en faire l’analyse. Dans quel contexte arrive ce rapport ?Il se situe dans la continuité d’une politique qui amalgame difficultés sociales et éducatives avec délinquance et délinquance avec immigration, tout en stigmatisant les quartiers populaires. Une politique qui se refuse à prendre à bras le corps les véritables problèmes d’accès au logement, au travail, à la santé, à l’éducation et qui, au lieu de traiter la précarité et l’exclusion, contrôle et réprime les populations qui en sont victimes. Le rapport Bockel est particulièrement détestable en ce qu’il se réfère aux principes de la République pour rappeler leurs devoirs à ceux dont elle n’est plus aujourd’hui en capacité de garantir les droits fondamentaux. La stigmatisation des familles immigrées, aux forts relents islamophobes, en est la conséquence logique. À bien des égards, Jean-Marie Bockel redonne ses lettres de noblesse au fameux triptyque, « travail, famille, patrie ».Quelles sont les grandes lignes du rapport ?Concernant la famille, ses évolutions sociologiques et juridiques sont constatées à regret car c’est tout juste si la place chèrement acquise des femmes dans la société n’est pas remise en cause, tout comme la loi de 1970 faisant disparaître le concept de puissance paternelle pour le remplacer par celui d’autorité parentale. L’idéal de l’autorité est incarnée par le chef de famille et la notion de protection introduirait de la confusion chez des parents qui ne sauraient plus comment exercer leur autorité (entendez : qui ne sauraient plus comment punir). Il propose de mettre en place un « programme de coaching parental » et de généraliser des contrats de responsabilité parentale avec des menaces de sanctions pénales ou de suppression des allocations en cas de non respect « volontaire » de ces contrats ou stages. Quant aux parents d’origine étrangère, leurs difficultés sont analysées à l’aune de leurs origines culturelles différentes et il suffirait alors de « rendre obligatoire la participation des parents signalés à une mise à niveau linguistique et républicaine » pour mieux les insérer ! Concernant l’école, l’objectif assigné est de « restaurer la citoyenneté ». Les propositions reprennent les orientations gouvernementales en matière d’absentéisme et de décrochage scolaire, notamment les établissements scolaires de réinsertion (ERS) dont on connaît déjà les effets néfastes sur les jeunes. Alors que les réseaux de soutien scolaire aux élèves en difficulté et les services sociaux de prévention sont exsangues, l’idée détestable de lier le « repérage précoce des enfants en souffrance » à la prévention de la délinquance est reprise, confondant encore une fois prévention et prédiction.Le rapport s’appuie très largement sur les travaux d’Hugues Lagrange, très controversés, en survalorisant le fait culturel pour expliquer les causes des difficultés d’intégration des populations africaines notamment. Il s’attarde essentiellement sur la nécessité de « valoriser et de diffuser la culture française » ainsi que d’ « opérer un travail sur la laïcité ». Le rapport dresse un bilan dramatisé de l’état de l’espace public où « les lois de la rue défient l’ordre public et la laïcité », un espace public livré aux trafics de drogue, à l’économie souterraine, aux bandes (dont celles des filles) et au prosélytisme islamique. Cette dramatisation, qui exclut systématiquement les causes socio-économiques et les discriminations de tous ordres, n’a pour objectif que de renforcer l’arsenal répressif et de contrôle des populations. Il est préconisé de renforcer les pouvoirs de police du maire, la présence policière et judiciaire. Le retour de l’éducateur de rue est souhaité mais sans dire comment au moment où les clubs de prévention sont économiquement asphyxiés. Plus grave, le rapport en appelle à une transformation de ce métier, encore trop « lié à la protection de l’enfance » pour en faire un outil de « reconquête des territoires ». En quoi les propositions concernant la justice des mineurs se rapprochent-elles de celles des majeurs ?Alors qu’avec la majorité des professionnels de l’enfance, le SNPES-PJJ/FSU continue de dénoncer les dispositions entraînant un traitement des mineurs semblable à celui des majeurs, le rapport considère que « la nécessité de réponse pénale immédiate avec l’introduction de procédures rapides ne fait plus débat ». Malheureusement des lois ont été votées, instaurant la comparution à délais rapprochés et la présentation immédiate. Une autre est en cours d’examen qui instaurerait la comparution immédiate. La pénalisation des mineurs tient lieu de prévention car rien n’est dit de leur protection. Propos recueillis par Anne Leclerc
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