Le procès en appel des tireurs présumés de Villiers-le-Bel s’est ouvert le 4 octobre au tribunal de grande instance de Nanterre. L’atmosphère y est lourde, deux ans après des verdicts qualifiés de « signal fort adressé aux délinquants » par Brice Hortefeux : trois mois fermes pour vol de cigarettes, un à trois ans fermes pour jet de projectiles, trois à quinze ans fermes pour les cinq accusés d’avoir tiré sur des policiers. Des condamnations pour ces derniers sans aucune preuve matérielle, des condamnés pour l’exemple.
D’entrée, le président du tribunal a souligné la chance que dans cette confrontation il n’y ait pas eu de mort : c’est une fois de plus oublier celle des deux jeunes en moto, Moushin et Lakhamy, percutés par un véhicule de police le 25 novembre 2007, qui a été à l’origine des révoltes. Le meilleur réquisitoire dans cette affaire est celui de Nicolas Sarkozy qui, quatre jours après la mort des deux jeunes, déclarait, devant un parterre de 2 000 policiers et en présence des ministres de la Défense, de l’Intérieur et de la Justice : « Ce qui s’est passé à Villiers-le-Bel n’a rien à voir avec une crise sociale, ça a tout à voir avec la voyoucratie ». Et d’ajouter : « Mettez les moyens que vous voulez, c’est une priorité absolue ».
Il a été entendu, d’abord dans le choix de la juge d’instruction en charge du dossier des révoltes : c’est cette même magistrate qui a ordonné un non-lieu pour les policiers impliqués dans le choc criminel. Mais c’était sans compter sur la détermination des familles qui ont fait appel, démontrant, expertise technique à l’appui, que les policiers avaient menti lors de leur déposition et que leur véhicule au moment du choc était en phase d’accélération, à 64 km/h et sans gyrophare. Depuis, le policier conducteur a été mis en examen et devrait comparaître dans les semaines à venir.
Les moyens, ce sont aussi les 1 500 flics armés jusqu’au tronc cérébral qui, le 18 février 2008 dès 6 heures du matin, ont fracassé à coups de bélier des dizaines de portes dans les quartiers de Villiers-le-Bel, pointant leur fusil automatique sur la tempe de parents et d’enfants qui disent ne s’en être toujours pas remis à ce jour. Un coup de filet médiatique, pour en tout et pour tout quelques grammes de shit.
Alors même que l’enquête sur la mort de Moushin et Lakhamy piétinait et que police et justice ignoraient les nombreux témoignages, les mêmes mettaient en œuvre la délation rémunérée inscrite dans la loi Perben que Maurice Rajsfus, témoin au procès, qualifiera de « loi scélérate ». Au final, sur les quatre témoins sous X, un seul a fait sa déclaration sur un écran, visage dissimulé ; on a découvert plus tard qu’il s’agissait d’un indicateur de la brigade des stups. Quant aux rares autres témoins à visage découvert, plusieurs ont fait état des pressions exercées à leur encontre par les policiers. L’un d’eux a dit avoir été reçu à l’Élysée par un conseiller de la Garde des sceaux Rachida Dati qui lui a demandé de faire un faux témoignage en échange de sa remise en liberté et de la récupération de son permis de conduire. Aujourd’hui, il revient à la barre pour témoigner de ces pressions, après avoir porté plainte contre la police.
De preuves matérielles, le dossier est vide : des ADN prélevés aux bandes vidéos, en passant par des armes non retrouvées. Quant au zonage des portables, comme vient de l’indiquer un expert jeudi dernier : « Il est impossible de localiser géographiquement un téléphone portable avec précision à moins de 5 km ».Dès lors, la cour convoque comme éléments à charge des arguments culturalistes, comme quand le président s’acharne par ses questions à faire un lien entre la polygamie et le comportement « déviant » de l’un des accusés.Tout au long de ce procès, sont évacuées la question sociale, celle des discriminations racistes et celle des violences policières. Un procès que le gouvernement veut dépolitiser et ethniciser en y affirmant la responsabilité individuelle et le manque d’intégration ; l’un des pères des accusés disait la semaine dernière : « Aujourd’hui on juge mon fils, un jour il faudra juger la société. » En attendant, il ne tient qu’aux forces politiques, syndicales et associatives de porter la dimension politique de ce procès et se retrouver ensemble pour exiger aux côtés du collectif « Respect vérité justice », la relaxe d’Abderrahmane Kamara, Adama Kamara, Ibrahima Sow, Maka Kanté et Samuel Lambalamba.
Omar Slaouti