Publié le Mercredi 12 février 2025 à 11h53.

Des Blacks Panthers à Black Lives Matter, 60 ans de luttes

Le mouvement Black Lives Matter (BLM) de 2020 a sans doute été le mouvement le plus inspirant contre le racisme de ces dernières décennies. Il a constitué le plus grand mouvement social de l’histoire récente des États-Unis et a imposé à l’échelle mondiale la mise à l’ordre du jour des discussions sur le racisme. Ce mouvement a inspiré aussi en France l’une des rares mobilisations importantes de l’antiracisme dans la période récente. 

Antiracisme et anticolonialisme

La situation raciale aux USA a toujours été structurante de la politique américaine. L’assassinat de Malcolm X il y a soixante ans a marqué une étape importante de la lutte pour les droits civiques. En plein mouvement d’émancipation, cette lutte venait rejoindre la dynamique de radicalité qui commençait à naître. En effet, le mouvement des droits civiques marquait l’entrée en scène des personnes noires elles-mêmes pour défendre leurs droits collectivement à la suite de la Seconde Guerre mondiale menée pour la démocratie et la justice contre le fascisme. Il est clair qu’il y avait une convergence avec les grandes vagues de décolonisation et de luttes anticoloniales : Algérie, Vietnam par exemple. Les luttes contre la ségrégation — de facto un peuple sous domination coloniale dans le même pays — ont conduit à l’un des mouvements les plus importants de l’histoire des États-Unis : manifestations de masse, boycotts collectifs, désobéissance civile. Cette lutte a pris de l’ampleur jusqu’à la jonction avec le mouvement contre la guerre du Vietnam. 

La création du Black Panther Party, parti politique le plus réprimé de l’histoire des États-unis, est révélateur, déjà à l’époque, de ce qu’une réponse seulement institutionnelle ne suffit pas à améliorer le sort des noirEs et à diminuer le racisme. La répression sanglante des ­militantEs noirEs orchestrée par la police américaine a été déterminante pour arrêter cette vague. 

Redlining contre déségrégation

En faisant sa révolution néolibérale au tournant des années 1980, la classe dirigeante a continué de se structurer autour du racisme. Une partie de la société américaine a réagi violemment à la déségrégation : 

développement des écoles privées (et même fermetures des piscines publiques, pour prendre les exemples les plus criants) ; mise en place des techniques pour limiter l’impact du vote « noir » aux États-Unis par l’ajustement de la carte électorale (ce qui fait que les États du Sud sont les plus racistes et parmi les plus pauvres) ; la guerre à la drogue pour criminaliser encore plus la population noire (il y a plus de jeunes noirs en prison aux États-Unis qu’à l’université et ils représentent une part disproportionnée de la population carcérale) ; et le redlining s’est développé pour éviter le développement économique des quartiers noirs.

La mort de jeunes noirs causée par la police et les « justiciers » montre l’insécurité permanente dont ils sont victimes. Même si une partie des noirEs américainEs ont enfin pu accéder à des échelons supérieurs de la société américaine, la ségrégation — même ­informelle — ­subsiste. Elle est un des maillons du vote républicain et en miroir explique que le vote noir est essentiellement démocrate (74 % pour les hommes et 95 % pour les femmes). 

Backlash

Le deuxième mandat de Trump va aggraver la situation. La fin de l’Affimative Action pour les facs (discrimination positive), suivi du backlash sur les DEI (la politique d’inclusivité de l’administration américaine) jusqu’à la fin de l’ensemble des politiques d’aides aux plus pauvres, et la ­déportation de milliers de sans-­papiers, sont des attaques qui visent directement les populations racisées. L’objectif de la « démocratie » américaine est bien d’avoir des populations subalternes dont les droits sont limités. Quelques semaines avant sa mort, Malcolm X exprimait : « Tu ne peux pas avoir le capitalisme sans le racisme ». Ce qui fait que le mouvement BLM reste un épisode central de l’histoire récente des USA et la force qui potentiellement peut s’opposer aux politiques néo­fascistes du nouveau ­locataire de la Maison Blanche. 

Édouard Soulier