Au stade actuel de la campagne électorale, la position de Lula dans les sondages est si favorable, en raison de la consolidation d’une avance substantielle, que l’hypothèse d’une victoire de Lula au premier tour est là.
Bien qu’avec une certaine marge d’incertitude, même une majorité de votes valides est possible. Le taux de rejet de Bolsonaro reste extrêmement élevé, supérieur à 50 %. Une victoire dans le Sud-Est et le Nord-Est, soutenue par les personnes les plus pauvres, les femmes, les NoirEs et les jeunes, renforcée par un déplacement silencieux des électeurEs des autres candidatEs, notamment Ciro Gomes, pourrait garantir les 2 % manquants. Ce serait la meilleure chose possible, car si un second tour devait avoir lieu, octobre 2022 sera certainement le mois le plus long de notre vie. Bolsonaro n’hésitera pas à « jouer la terreur », dès la nuit du 2 octobre. « Jouer la terreur » est une façon de décrire ce qui sera une campagne électorale effrayante, implacable et impitoyable. Ces derniers mois, nous avons déjà eu un bon aperçu de la façon dont les haines sociales allumées par les fascistes répandent des peurs politiques. Mais cela pourrait être bien pire.
Bolsonaro ne reconnaîtra pas les résultats
La campagne systématique de mise en question des urnes électroniques et de dénonciation, à l’avance, des dites fraudes doit être prise au sérieux. Bolsonaro a déjà fait savoir qu’il ne reconnaîtra pas la légitimité du résultat s’il ne gagne pas. Il tentera d’enflammer la fureur de sa base sociale en dénonçant le fait que ses suffrages ont été dérobés. Il serait imprudent d’ignorer que cette campagne a une immense résonance sociale parmi les dizaines de millions de personnes qui s’identifient au bolsonarisme. Ils ont fait preuve d’une force de frappe sociale.
Il serait malavisé de sous-estimer l’autorité charismatique de Bolsonaro et l’impact du discours césariste sur les masses réactionnaires qui le suivent.
Le 7 septembre [journée nationale de mobilisation avec deux grandes manifestations pro-Bolsonaro : l’une à Brasilia ; l’autre à Copacabana, à Rio] a offert une leçon fondamentale : il existe un mouvement politique de type fascistoïde au Brésil. Toute perplexité, incertitude, hésitation ou tergiversation sur la caractérisation, l’implantation et la capillarité de cette force politique relèverait d’une erreur aux conséquences stratégiques.
Un parti fasciste de type « classique » n’a pas été construit, pour des raisons multiples — une question complexe — mais cela ne diminue pas le danger que représente le bolsonarisme. Cela renvoie à :
– des facteurs structurels, comme la fracture au sein de bourgeoisie ainsi qu’à des difficultés d’organisation de secteurs intermédiaires ;
– des facteurs superstructurels : il y a eu beaucoup d’improvisation dans la préparation de la candidature de Jair Bolsonaro en 2018. À cela s’est ajoutée la recherche d’une majorité au Congrès qui a imposé une négociation avec le marais de plus de douze partis du centrão1. Enfin, le style de leadership personnel de Bolsonaro à des effets de désorgarnisation, même pour l’extrême droite. Mais le bolsonarisme ne se dissoudra pas avec une défaite électorale. Seule une profonde défaite politique ouvrira la voie : elle doit passer par une procédure judiciaire, par la condamnation et l’emprisonnement de Bolsonaro ; ce qui dépend en outre d’un changement dans les rapports de forces sociaux.
La menace de l’armée
Le décompte parallèle des voix que les forces armées ont obtenu du TSE (Tribunal Superior Eleitoral) est une anomalie antidémocratique qui n’a pas été dénoncée. Il ne s’agissait pas d’une « manœuvre intelligente » pour ouvrir une brèche entre le bolsonarisme et l’armée.
Dans le cadre d’un chantage public explicite [contre le système de vote électronique et ses résultats], il s’agissait d’une concession déraisonnable, déguisée en geste consenti, afin qu’un contrôle externe inapproprié, indu et arbitraire puisse remettre en question le résultat des élections.
Imaginer que les forces armées ont exigé cette prérogative afin de renforcer la légitimité du TSE en cas de victoire de Lula est un pari insensé qui ignore le rôle de l’armée au cours des quatre dernières années. La justice électorale est la seule institution à laquelle il est prévu d’attribuer le comptage, le décompte et la promulgation des résultats de la votation. Le droit de surveiller les élections n’autorise pas le dépouillement indépendant et, encore moins, l’annonce ou la proclamation d’un quelconque résultat. L’autorisation donnée aux forces armées de disposer de leur propre centre de comptage était insensée. À la différence des élections nord-américaines, au Brésil, le haut commandement de l’armée est le complice de Bolsonaro.
La mobilisation de masse sera indispensable
Si Bolsonaro ne reconnaît pas le résultat électoral, comme cela est prévisible, il faudra se battre pour ouvrir, immédiatement, un processus de destitution éclair de la présidence. Bolsonaro, à l’intérieur du Palais du Planalto, sera un hors-la-loi. Cette initiative doit venir à la fois du Législatif et du Judiciaire. Le Tribunal supérieur électoral doit prendre l’initiative de défendre la limpidité du processus électoral qu’il a lui-même organisé. Le Congrès national ne peut pas continuer à être pris en otage par un président qui subvertit le régime démocratique en ne reconnaissant pas sa défaite électorale.
Dans ces circonstances, la mobilisation de masse sera indispensable. En fin de compte, ce sera le facteur décisif. Dans la nuit du dimanche 2 octobre, il sera essentiel de descendre dans la rue pour célébrer la défaite du fasciste et défendre la victoire de Lula. Le rôle de la gauche dans ce scénario redoutable mais prévisible sera vital. Pourvu qu’une victoire soit possible au premier tour, et que s’opère une transition sans de terribles turbulences. Mais ce n’est pas le cas. Nous avons besoin d’un plan A, d’un plan B et même, pour être sûr, d’un plan C. Préparons-nous au pire des scénarios. Nous ne pouvons pas laisser échapper la victoire dans les urnes. De nombreuses personnes ont trop souffert pour laisser faire cela.
Traduction A l’Encontre
- 1. Partis qui vivent financièrement des liaisons avec les diverses institutions du pouvoir.