Ces derniers jours, le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian, évoque des attaques non seulement contre Raqqa, fief du prétendu « État islamique » en Syrie – des raids aériens étant en cours et coordonnées avec la Russie –, mais aussi contre Mossoul en Irak...
Cette dernière ville, conquise par Daesh en juin 2014 sans trop de combats (l’armée irakienne, composée de soldats mal payés et démotivés, étant en large partie en fuite), est devenue le siège du prétendu « califat » proclamé par l’organisation il y a 17 mois. Certains observateurs prévoient par ailleurs une attaque de la ville de Mossoul par la voie terrestre d’ici quelques mois. Des forces gouvernementales irakiennes, étatsuniennes et autres, pourraient y participer.
Au-delà de cette actualité militaire, se pose la question du sens politique des interventions militaires (au pluriel) dans cette région, qui se succèdent depuis 35 ans, mais qui n’ont jusqu’ici réglé absolument aucun problème. Et à chaque fois, les problèmes réels se sont même aggravés à court ou moyen terme, la naissance de Daesh en faisant partie.
Du jeu des grandes puissances…
En Irak, plusieurs guerres internationalisées se sont succédé. Baptisée la première guerre du Golfe, première grande guerre menée par des puissances extérieures à la région – après celle des Britanniques dans les années 1930 – était l’Opération « Tempête du désert » en janvier-février 1991, menée par une coalition conduite par les USA, avec participation notamment britannique et française. À l’époque, il s’agissait de limiter les ambitions régionales de la dictature de Saddam Hussein.
Pourtant, celle-ci, appuyée sur des élites militaires arabes sunnites (oppressant la majorité chiite et le peuple kurde), avait bénéficié d’un large soutien des grandes puissances quand elle avait mené une guerre d’agression contre l’Iran à partir de 1980. L’Irak était alors présenté comme « un rempart »à une possible extension de la révolution iranienne, en réalité transformée en contre-révolution sous Khomeini. Aussi, les USA, la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne de l’Ouest dotèrent l’Irak d’une grande quantité en armes, dont des armes chimiques (utilisées contre les Kurdes à 40 reprises en 1987 et 1988).
Mais l’Irak en sortit littéralement ruiné. Après la fin de la guerre contre l’Iran en 1988, les USA adoptèrent une politique de duplicité à son égard : d’un côté, l’administration étatsunienne déclarait qu’elle continuait à soutenir l’Irak, son allié régional ; de l’autre, elle poussait les monarchies du Golfe, grands prêteurs d’argent pendant la guerre, à réclamer un remboursement rapide et à inonder le marché du pétrole en augmentant leur production.
Pris à la gorge financièrement, le régime irakien prit alors la décision de résoudre son problème en occupant son voisin koweïtien, pays petit par la taille… cela après avoir reçu, une semaine plus tôt, l’assurance de l’ambassadrice étatsunienne April Glaspie que les USA resteraient neutre. Mais la réponse à l’invasion du Koweït, en août 1990 fut l’arrivée d’une véritable armada de troupes des principaux pays impérialistes.
… à la politique du chaos
En janvier et février 1991, ces grandes puissances menèrent une guerre aérienne impitoyable sur l’Irak (150 000 morts selon l’opposition aux USA), mais elle ne chassèrent pas Saddam Hussein du pouvoir. Invitées par la coalition menée par les USA à se révolter contre le régime, les populations kurdes et chiites en payèrent un lourd tribut : des massacres qui coûtèrent au minimum des dizaines de milliers de vie... alors que les USA laissèrent le régime irakien violer les conditions du cessez-le-feu en faisant décoller ses avions militaires contre ces populations. La majorité de la classe politique étatsunienne considéra qu’il valait mieux garder le régime de Hussein comme « facteur de stabilité » pour contrer une expansion de l’influence iranienne. Mais soumis à un embargo dur, le pays était saigné à mort, avec des centaines de milliers de disparus et un blocus économique qui n’affaiblit pas le régime (bien au contraire, il se renforça en contrôlant l’accès aux biens vitaux) mais affama la population...
L’administration étatsunienne changea son fusil d’épaule après le 11 septembre 2001 : puisqu’il fallait définir un objectif de guerre qui semblait à portée de main, elle décida d’envahir l’Irak, menant cette fois-ci une guerre au sol. Celle-ci débuta le 20 mars 2003. Elle se berçait alors d’illusions profondes, s’attendant à ce que ses troupes soient accueillies en « libérateurs »... Elle ne géra pas l’effondrement complet de l’État irakien, construction de la puissance mandataire britannique après 1920. La domination des Arabes sunnites n’étant plus acceptée par la population, des milices confessionnelles se livrèrent une guerre sanglante, dont la première phase alla de 2003 à 2008. La puissance tutélaire étatsunienne fut si surprise qu’elle resta sans réponse.
Après 2008, les USA commencèrent se retirer partiellement – après l’arrivée au pouvoir du président Obama –, alors que les partis confessionnels chiites commençaient à contrôler le gouvernement à Bagdad. Menant une politique discriminatoire à l’encontre de la minorité arabe sunnite (le miroir de celle menée par les élites sunnites de 1920 jusqu’à la chute du régime de Saddam), ils provoquèrent un soulèvement des sunnites. D’abord pacifique, empruntant les slogans du « Printemps arabe », ce mouvement fut réprimé de façon brutale. Puis enrôlant les sunnites en colère, Daesh a pris le relais...
Une reprise en main des affaires par les secteurs de la population qui souhaite dépasser les clivages confessionnels pourrait ouvrir une autre perspective.
Bertold du Ryon