Publié le Mercredi 6 janvier 2021 à 11h35.

Il y a 30 ans : la première « Guerre du Golfe »

Le 17 janvier prochain marquera le 30e anniversaire de l’offensive meurtrière « Tempête du désert », permise par la résolution numéro 678 du conseil de sécurité de l’ONU, adoptée le 29 novembre 1990. L’occasion de revenir sur ce qui est resté comme la première « Guerre du Golfe », étape charnière dans la constitution d’un « nouvel ordre mondial » post-Guerre froide.

En 1990-1991 a eu lieu la première « Guerre du Golfe ». Premier conflit d’envergure depuis la chute du Mur de Berlin, cette guerre fut un événement décisif dans l’affirmation du leadership quasi-exclusif de l’impérialisme américain.

Le 2 août 1990, l’Irak envahit le Koweït. Un vieux litige opposait les deux pays : les frontières, dessinées arbitrairement par les puissances coloniales en 1922, ne laissaient qu’une minuscule ouverture maritime (60 km) à l’Irak. Pour un pays qui compte parmi les principaux exportateurs de pétrole et qui doit importer 70 % de ses denrées alimentaires, la situation est inconfortable. Mais la principale cause est la catastrophique situation financière et sociale du pays. Ruiné et dévasté par sa longue guerre avec l’Iran (qui lui a coûté entre 200 et 350 milliards de dollars), l’Irak est criblé de dettes.

Face au refus des pays créanciers d’accorder un rééchelonnement des dettes, la seule issue résidait dans les revenus du pétrole. Mais les prix du brut sur le marché mondial ont chuté de 30 % rien qu’entre mars et juin 1990. La cause ? Certains membres de FOPEP, dont le Koweït, ne respectent par leurs quotas de production, produisant tant et plus, et les prix ne cessent de baisser pour le plus grand bénéfices des pays occidentaux.

Le piège

Mettre fin à cette pratique, s’approprier les ressources pétrolières koweïtiennes et l’espace maritime nécessaire ainsi qu’affirmer sa position de puissance régionale sont autant de raisons qui ont poussé Saddam Hussein à agir. Et s’il s’est permis un tel tour de force, c’est que les précédents sont nombreux dans la région. À commencer par sa propre guerre contre l’Iran komeyniste, qui lui a valu un ferme soutien occidental, sans oublier l’occupation des terres palestiniennes par Israël ou celle du Liban par la Syrie.

L’attitude des États-Unis à la veille de l’invasion avait de quoi conforter le dictateur dans son espoir d’absence de réaction internationale énergique à son acte. Depuis la fin juillet, les services de renseignements américains étaient au courant des préparatifs d’invasion. Or, le 24 juillet, la porte-parole du Département d’État US Margaret Tutwiller laissait entendre à Saddam que les États-Unis ne se mêleraient pas des disputes territoriales et n’avaient aucune obligation d’aider le Koweït. Le 25 juillet, dans une entrevue avec le dictateur de Bagdad, l’ambassadrice US April Glaspie réaffirmait cette position : « Nous n’avons aucune opinion sur les conflits interarabes, comme votre différend frontalier avec le Koweït. » Le lendemain, la rassurante ambassadrice partait en vacances…

Saddam-Hitler

Après le 2 août, la réaction internationale, menée et orchestrée par les États-Unis – qui ont utilisé tout au long de la crise l’ONU comme faire-valoir juridique – a de quoi surprendre Saddam. Le 6 août, l’ONU décrète un embargo total (en fait un blocus, ce qui est déjà un acte de guerre) à rencontre de l’Irak. Le 7 août, sous le prétexte que l’Irak menaçait d’envahir l’Arabie saoudite, des forces américaines commencent à se déployer dans ce pays dans le cadre de l’opération « Bouclier du désert ».

Soucieux de se faire bien voir auprès du nouveau gendarme tout puissant du monde et espérant surtout quelques substantielles retombées financières, plusieurs nations se « coalisent » et envoient également des troupes. Mais ces nations « coalisées » n’ont pas plus de voix au chapitre que l’Assemblée générale de l’ONU car ce sont les États-Unis, qui représentent 80 % des forces « coalisées », qui donnent le rythme.

Et dès le début, malgré les effets dévastateurs de l’embargo à lui seul, les États-Unis privilégient l’affrontement armé en rejetant toutes les offres de négociation de l’Irak et en persuadant leurs alliés que seule la force peut faire plier Saddam. « Oubliant » qu’ils l’avaient soutenu pendant huit ans, les dirigeants américains font fleurir les assimilations entre Saddam Hussein et Adolf Hitler et élèvent le combat pour la libération du Koweït au statut d’une croisade au nom du « droit » et de la « justice ». Georges Bush comparera son action à celle du Bien contre le Mal.

Dès le mois d’août 1990 les plans offensifs sont mis sur pied. Alors que les troupes massées en Arabie ne cessent de croître, la décision d’attaquer est définitivement prise fin octobre 1990 alors qu’elle ne sera « avalisée » par une résolution de l’ONU qu’au mois de décembre.

Les USA massent alors une puissante armée de plus de 500 000 soldats, des milliers de chars et 2 000 avions de combat, le tout d’un haut niveau technologique face à une armée irakienne largement surestimée et en vérité lasse de se battre après huit années de guerre contre l’Iran.

Les buts de guerre US

Dans une région qui détient 60 % des réserves mondiales de pétrole, les États-Unis ont immédiatement vu l’importance du conflit ainsi que les nombreux avantages qu’ils pouvaient en tirer. Loin des discours sur la « guerre du droit », Zbigniew Brzezinski, ancien conseiller de Carter, résumait bien le sens de l’engagement de son pays : « Le véritable intérêt vital pour l’Amérique est d’assurer que le Golfe demeure une source sûre et stable d’approvisionnement en pétrole, vendu à un prix raisonnable à l’Occident industrialisé ».

La véritable irritation des Américains provenait surtout du fait que, ayant toujours privilégié dans la région les nations faiblement peuplées pour qu’elles contrôlent les prix du pétrole selon les intérêts impérialistes, les États-Unis ne pouvaient tolérer qu’une nation telle que l’Irak, au régime « nationaliste » et comptant une armée relativement puissante, devienne seconde exportatrice de pétrole en annexant le Koweït, ce qui lui permettait ainsi d’exercer une pression à la hausse des prix du brut.

Saddam a donc transgressé les règles et pour cela il devait être sévèrement châtié. La libération du Koweït n’était que secondaire, l’objectif véritable de l’offensive « Tempête du désert », étant surtout de briser et d’affaiblir durablement l’Irak.

D’autres considérations ont également joué dans la détermination des États-Unis. Pour eux, il s’agissait notamment de profiter au maximum de l’affaiblissement de l’URSS pour occuper sans partage une position de leadership dans le « nouvel ordre mondial » post-Guerre froide et imposer ainsi de nouvelles règles du jeu conformes aux intérêt américains.

De plus, avec la disparition de la « menace communiste », un nouvel ennemi devait être désigné pour rendre crédible la survie du complexe militaro-industriel ou d’institutions telles que l’OTAN. Les nouveaux ennemis désignés seront donc au Sud et étiquetés « États voyous ».

Une guerre permettait également de restaurer la confiance des marchés envers les États-Unis, qui frisaient la récession. Le taux de croissance de ce pays était en effet, depuis 1985, en chute libre, passant de 4,5 % par an en 1988 à 1 % à peine en 1990. La guerre était donc vue par beaucoup comme un moyen de relance économique par une politique de « keynesianisme militaire » – augmentation des dépenses militaires par l’État et des commandes auprès du complexe militaro-industriel.

Le massacre

Le 17 janvier 1991, l’opération « Tempête du désert » s’ouvre par des bombardements massifs, non seulement sur les troupes irakiennes présentes au Koweït, mais surtout sur les centres urbains et industriels irakiens où des cibles civiles sont froidement écrasées sous les bombes. En 46 jours, l’Irak allait recevoir autant de bombes (88 000 tonnes) que l’Allemagne durant toute la Seconde Guerre mondiale.

Malgré des médias caporalisés qui ont intoxiqué les opinions publiques avec l’abject jargon de la novlangue impérialiste (« dommages collatéraux », « frappes chirurgicales », etc.), la volonté de détruire l’Irak était manifeste.

Le 22 février, Bagdad accepte de se soumettre en échange de la levée de l’embargo. Washington rejette la proposition : dans la bonne vieille tradition des guerres étatsuniennes, il faut une capitulation humiliante et totale. Le 24 février, l’offensive terrestre est déclenchée, s’apparentant plus à une promenade tant l’armée irakienne a été décomposée par la lassitude, la faim, le désespoir et les bombardements.

Le 28, les combats s’achèvent, laissant derrière eux entre 100 000 et 250 000 victimes irakiennes contre à peine quelques centaines du côté des « coalisés ». Mais la violence ne s’arrête pas pour autant. Alors que Bush les avait encouragés à se révolter au mois de mars, les Chiites au Sud et les Kurdes au Nord se révoltent et sont écrasés dans le sang par la Garde républicaine de Saddam sous les yeux impassibles des forces « coalisées ». Finalement, un Saddam affaibli peut encore être utile, surtout pour maintenir la nécessité d’une forte présence militaire américaine dans la région...

Pour les États-Unis, la fin du conflit et ses suites immédiates furent hautement profitables. Puisqu’ils furent ceux qui détruisirent le plus, ce fut bien entendu des firmes américaines qui remportèrent 70 % des juteux contrats de reconstruction du Koweït. Quant aux ventes d’armes dans la région du Golfe, elles explosèrent littéralement au plus grand profit des entreprises US et permirent ainsi d’écouler une partie des stocks accumulés en Europe pendant la Guerre froide.

Tous ces avantages furent en outre obtenus à moindre frais puisque, si le conflit leur a coûté près de 70 milliards de dollars, les généreuses donations des pays « amis » se sont élevées à 55 milliards de dollars...

La Guerre du Golfe apparaît clairement comme une étape charnière. Elle a permis de relancer le leadership de l’impérialisme américain dans le monde – affaiblis depuis leur déroute au Vietnam – et d’imprimer une dynamique d’affranchissement de ce pays à toutes les règles du droit international. Elle apparaît également, avec la guerre du Kosovo en 1999, comme la préfiguration des guerres du 21e siècle : engagement de troupes « coalisées » (en réalité de vulgaires supplétifs de l’US Army) ; engins de mort ultra-modernes ; obsession de la guerre « zéro mort » (pour les impérialistes bien entendu), tout cela dans le but d’assurer la défense des intérêts impérialistes des puissances occidentales et la pérennité de la mondialisation capitaliste néolibérale.

Première publication le 14 juillet 2007. En ligne sur lcr-lagauche.be