La guerre du Rif (1921-1926) oppose les puissances coloniales espagnole et française aux tribus berbères rifaines, unies sous la bannière de Mohammed Ben Abdelkrim el-Khattabi.
Ce conflit, trop souvent relégué dans les marges de l’histoire officielle, fut pourtant un moment de rupture profonde, révélateur de la brutalité du système colonial. Au-delà d’un soulèvement régional, il incarne un acte politique d’émancipation contre l’impérialisme.
La France s’allie à l’Espagne
En 1925, l’armée française intervient massivement pour écraser le mouvement rifain. L’Espagne, déjà humiliée par ses revers face aux combattants d’Abdelkrim, sollicite l’aide militaire de Paris. L’armée française se déploie sous le commandement de Pétain : 160 000 soldats, y compris des troupes coloniales venues d’Algérie, du Sénégal ou du Vietnam. L’aviation bombarde les zones civiles, les villages sont détruits, les champs brûlés. L’Espagne, pour sa part, utilise massivement les armes chimiques (gaz moutarde), testant dans le Rif ce que les puissances impérialistes expérimenteront ailleurs.
Mais Abdelkrim n’est pas un simple chef tribal opposé à la domination étrangère. Il organise un État structuré, la République du Rif, qui proclame sa souveraineté en 1923.
L’impôt y est levé, la conscription établie, une armée nationale est mise en place. L’objectif n’est pas seulement de repousser l’envahisseur mais de construire une alternative politique, un projet de société émancipé de la tutelle coloniale, articulé autour d’une justice populaire et de principes modernisateurs.
Le droit des peuples face aux forces coloniales
Cette centralisation inédite du pouvoir permet à Abdelkrim de défendre sa cause sur la scène internationale. Il s’adresse à la toute récente Société des Nations, plaide le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, mobilise les réseaux anticolonialistes dans les capitales européennes. Il devient une figure emblématique, célébrée dans la presse anglophone, notamment en une du Time Magazine en août 1925. À travers lui, le Rif devient le symbole de la lutte contre l’ordre impérial établi.
Le Rif, toutefois, n’est pas un bloc homogène. Certaines tribus, fidèles au sultan Moulay Youssef (placé sous tutelle française), s’opposent à Abdelkrim. D’autres chefs locaux, comme le chérif Raïssouni dans le nord-ouest du pays, rejettent l’autorité de la République rifaine. De plus, les forces coloniales enrôlent massivement des Marocains dans leurs rangs : spahis, goumiers, régulierEs indigènes. Nombreux sont ceux contraints de combattre contre leurs compatriotes.
Une guerre civile coloniale
Ce conflit n’est donc pas simplement une guerre de libération contre une puissance étrangère : c’est une guerre civile coloniale, où l’impérialisme fracture les solidarités internes et s’appuie sur des élites locales pour renforcer sa domination. Le Rif est le théâtre d’une lutte complexe, mêlant autonomie populaire, trahisons politiques, pressions tribales et volonté révolutionnaire. Il y a 10 000 morts dans le camp des Rifains, 2 500 morts côté français (dont 261 officiers) et plusieurs milliers chez les Espagnols.
La guerre du Rif n’est pas un accident de parcours dans l’histoire coloniale, c’est un laboratoire. Elle préfigure les méthodes de contre-insurrection modernes, où l’on ne cherche pas seulement à vaincre militairement un ennemi, mais à briser une société. Les stratégies psychologiques, la guerre totale, les campagnes de terreur contre les civilEs, toutes ces pratiques seront reprises plus tard par l’armée française au Vietnam et en Algérie.
La République du Rif, éphémère mais puissante dans sa portée, bouscule l’ordre impérial. Elle démontre qu’un peuple colonisé peut non seulement résister, mais construire une alternative politique. Et cela, l’impérialisme ne peut le tolérer.