Publié le Jeudi 8 février 2024 à 13h00.

L’Équateur coincé entre violences sociales, néolibéralisme et narcotrafic

L’Équateur a récemment été sur le devant de la scène médiatique internationale. Depuis l’assassinat d’un candidat à la présidentielle en 2023, puis la prise d’otages en direct sur un plateau de télévision, en passant par la décision présidentielle de décréter l’état de guerre interne, ce pays rejoint le club des pays les plus violents d’Amérique latine. 

Jusqu’à l’élection de Lenin Moreno en 2017, le pays était connu comme un de ceux où le taux de criminalité était le plus faible du continent. Cette élection a marqué une accélération brutale par rapport aux années précédentes sous la présidence de Rafael Correa (2007-2017). Cédant aux injonctions du FMI, Moreno s’est engagé dans une politique ouvertement néolibérale. Cette dernière a été aggravée par son successeur le banquier Guillermo Lasso. En réaction, le gouvernement a fait face en 2022 à une révolte massive de la population, notamment des peuples indigènes, comme cela avait été le cas en 2019.

L’expansion des cartels et du narcotrafic

L’appauvrissement rapide de la majorité de la population ouvre la porte au développement de la criminalité. Trois éléments expliquent cette situation. Le premier, c’est la mise en œuvre des politiques néolibérales avec une explosion parallèle de la corruption. Face à la dégradation des conditions de vie et à l’absence de perspectives, entrer dans un gang permet de s’assurer d’un revenu minimum… 

En deuxième lieu, l’Équateur est le pays d’Amérique latine qui a été le plus touché par l’épidémie de covid, en ­raison ­principalement de la forte dégradation des services publics de santé, ce qui a accentué la violence sociale subie par la population. En troisième lieu, la frontière nord avec la Colombie subit l’action des groupes de narco­trafiquants, qui ont pris la place de la guérilla des FARC, à la suite de l’accord de paix en Colombie (2016). Profitant des possibilités offertes de blanchir l’argent de la drogue grâce à la dollarisation de l’économie, les groupes de « narcos » se sont implantés dans tout l’Équateur et au sein même de l’État. Coincé entre les pays producteurs de coca et de cocaïne (Pérou et Colombie) et bénéficiant de fortes infrastructures portuaires, notamment à Guayaquil, tout était prêt pour faire du pays une plateforme centrale du narcotrafic mondial.

L’urgence d’une alternative politique radicale

Les mobilisations sociales qui se sont exprimées en 2022 n’ont pas encore débouché sur la construction d’un outil politique permettant d’offrir une perspective à la population équatorienne paupérisée. Seuls les peuples autochtones sont fortement organisés autour de la CONAIE (Confédération des nationalités indigènes de l’Équateur), et c’est cette organisation qui a animé les luttes de 2019 et 2022. Cela explique aussi en partie que la présence des cartels est plus faible dans les provinces majoritairement autochtones, au contraire de celles autour du golfe de Guayaquil. Enfin, les dernières mesures répressives du nouveau gouvernement Noboa, élu en 2023 à la suite à la démission de Lasso (accusé de corruption), ne visent pas à éliminer les causes profondes de l’explosion de criminalité. Au contraire ! Daniel Noboa vient d’une des familles les plus riches du pays et il cherche à profiter de la situation chaotique pour assoir son pouvoir. Comme au Salvador, le chantage de l’exécutif est dramatique : une certaine « paix civile », en échange de plus de néolibéralisme et de la suspension d’une grande partie des droits démocratiques.