Le 18 mai dernier a eu lieu à Paris un sommet rassemblant autour du président Macron plusieurs chefs d’État africains, des responsables européens et des représentants des institutions financières internationales. Cette rencontre avait pour objectif de trouver de nouvelles sources de financement pour le continent. Présenté comme une solution novatrice, le New Deal vanté par Macron s’inscrit en réalité dans la droite ligne des politiques néolibérales en grande partie responsables des faiblesses structurelles des économies africaines. 1
La France a accueilli le 18 mai, à l’invitation du président français, Emmanuel Macron, un Sommet sur le financement des économies d’Afrique subsaharienne avec une quinzaine de chefs d’État africains, ainsi que des responsables européens et d’institutions financières et commerciales internationales comme la Banque mondiale, le Fonds monétaire international (FMI) ou l’Organisation mondiale du Commerce (OMC).
Grave crise économique
Il s’est agi, officiellement, de venir en aide à un continent pour lequel la pandémie s’est surtout manifestée sous la forme d’une grave crise économique encore pire que celle de de 2008. Il a ainsi vu une contraction son PIB de 2,1 %, une première depuis 25 ans, mais aussi une chute des investissements directs étrangers ainsi que des transferts de fonds de la diaspora qui constituent une des principales sources de financement du continent, au moins deux fois plus que l’aide publique au développement. Selon le FMI, ces pays pourraient se trouver face à un déficit de financement de 290 milliards de dollars US d’ici 2023 alors que, pour faire face aux effets de la pandémie, ils pourraient avoir besoin de 425 milliards d’ici à 2025.
Cela s’est inévitablement traduit par des conséquences sociales terribles : alors que la pauvreté était en baisse régulière depuis deux décennies sur le continent, selon la Banque africaine de développement (BAD), plus de 39 millions d’AfricainEs supplémentaires pourraient tomber d’ici la fin de l’année sous le seuil d’extrême pauvreté (1,90 dollar par jour), se rajoutant aux 30 millions de l’an dernier pour atteindre un total de 465 millions de personnes, soit près de 35 % de la population du continent.
Un « New Deal », vraiment ?
Au vu de cette situation et de ces perspectives, le principe d’un sommet consacré à l’Afrique n’était pas dénué de sens et pouvait faire écho aux nombreux appels lancés depuis un an, y compris par les sociétés civiles africaines. Sauf que, depuis le début de la crise sanitaire mondiale, ce n’est pas la première fois que le président français feint de plaider en faveur de l’Afrique. Il y a un peu plus d’un an, il a ainsi, à plusieurs reprises, lancé un appel pour une « annulation massive » des dettes africaines. Mais, dans les faits, force est de constater que la France n’a cessé d’œuvrer dans un sens contraire.
Cette fois-ci, avec ce nouveau sommet, il s’agissait pour Emmanuel Macron de mettre en place « un New Deal du financement de l’Afrique » reposant notamment « sur des solutions profondément novatrices ». Faut-il vraiment croire le président français sur parole ? Il est permis d’en douter. Les solutions envisagées n’ont rien de « novatrices », elles sont dans la droite ligne des remèdes infligés depuis des décennies, responsables des faiblesses structurelles des pays africains. Elles les ont notamment enfermés dans un modèle extractiviste ravageur et peu rémunérateur qui les rend, de surcroît, dépendants et extrêmement vulnérables aux chocs exogènes, comme on a encore pu le constater récemment lors de la chute du cours des matières premières.
Des recettes éculées
Ce « New Deal » macronien est une déclinaison du « Consensus de Paris » exposée en novembre dernier, lors d’un entretien du président français au Grand Continent. Comme souvent avec Emmanuel Macron, sous un emballage se voulant disruptif, ce sont les mêmes recettes libérales éculées qui sont servies : il s’agit ici, en l’occurrence, malgré les dénégations, de remettre encore plus le sort des économies africaines entre les mains d’intérêts privés et de la finance. On s’en doute, leur préoccupation première n’est pas la philanthropie ou l’intérêt public mais le rendement de leurs investissements. L’un des outils de prédilection de cette politique ce sont les partenariats public-privé (PPP), ces conventions par lesquelles le financement et la gestion de services publics sont confiés à des prestataires privés. Décriés en Europe, notamment par la Cour des comptes européenne (CCE) pour qui ils « ne peuvent être considérés comme une option économiquement viable pour la fourniture d’infrastructuresubliques », et en France, où la Cour des comptes a fustigé son coût et « son insoutenabilité financière », amenant le gouvernement d’Emmanuel Macron à y renoncer, les PPP font pourtant encore l’objet dune large promotion, y compris par la France, par le truchement de l’Agence française de développement (AFD), auprès des pays africains.
« Mission civilisatrice »
Plus profondément, derrière un laïus qui se veut moderne, se niche une vision du développement archaïque. Celle qui domine depuis le discours d’investiture de Harry Truman de janvier 1949 et qui le réduit à une dimension économique et comptable donnant aux pays du Nord vis-à-vis de ceux du Sud un objectif messianique prenant le relais de la « mission civilisatrice » du temps des colonies.
Non seulement la logique qui sous-tend le sommet de Paris est dangereuse pour les pays africains, mais elle est évite soigneusement d’aborder et d’interroger les causes profondes et premières de leur situation désastreuse.
Les fondements sur lesquels reposait ce sommet laissaient donc peu augurer de son succès du point de vue des populations africaines. D’autant moins qu’il n’était pas du tout question de s’attaquer aux causes profondes du désastre africain. Certes, on pourrait, à raison, rappeler que la situation catastrophique dans laquelle sont la plupart des pays africains est en bonne partie liée au fait qu’ils souffrent de la mauvaise gouvernance de dirigeants souvent illégitimes et d’abord mus par leurs intérêts propres, mais, en fait, cette situation d’extrême faiblesse s’explique d’abord par l’histoire séculaire de la construction de mécanismes de domination et d’exploitation par les grandes puissances.