Rien n’indique, au sortir du XXe congrès, que Xi Jinping a pris la mesure de l’ensemble des problèmes, tout occupé qu’il est à consolider son emprise sur l’État.
La capacité du pouvoir à piloter le développement économique a longtemps représenté un atout important dans l’envol de la Chine. Cependant, le nouveau régime politique façonné par Xi risque dorénavant de s’avérer un dangereux handicap.
Monolithisme interne
Les réformes de Deng Xiaoping initiées dans les années 1980-1990 visaient à engager la Chine post-maoïste dans la voie capitaliste en assurant la « bourgeoisification » d’un pan de la bureaucratie et, d’autre part, en dotant le pays d’un régime politique stable, au profit des élites. Un fonctionnement collégial à chaque niveau de direction et le renouvellement régulier des organes dirigeants devaient, notamment, empêcher la concentration des pouvoirs dans les mains d’un seul homme.
Durant ses deux premiers mandats, Xi Jinping s’est employé à instaurer une gouvernance opposée point à point à celle que Deng avait promue. Le XXe congrès du PCC a été l’occasion de parachever ce que l’on peut appeler une contre-révolution politique dans la Chine capitaliste. Xi entame son troisième mandat à la tête du PCC, alors qu’auparavant nul ne pouvait rester en poste plus de deux mandats de cinq ans successifs. Tout en plaçant ses proches à des postes clés, Deng se contentait d’être président de la commission militaire centrale. Xi est tout à la fois président de cette commission, secrétaire général du parti et président la République populaire.
Doté de sept membres, le comité permanent du bureau politique constitue le cœur du pouvoir au sein du PCC. Il devait traditionnellement intégrer un minimum de pluralisme fractionnel et le successeur désigné du secrétaire général. La question de la succession ne se pose pas, puisque Xi compte bien assurer d’autres mandats — il endosse aujourd’hui l’habit d’un triple Numéro 1 à vie.
Mainmise sur l’appareil du parti-État
Li Keqiang siégeait (sans peser) au comité permanent au titre de Premier ministre. Il n’est pas reconduit. Il est un proche de Hu Jintao, le précédent secrétaire général du PC — ce même Hu qui a été (apparemment sans son consentement) extirpé de la tribune par deux hommes en noir lors de la session de clôture du congrès — un spectacle assez étrange dans une cérémonie où tout est minutieusement réglé. Par ailleurs, Xi veut marginaliser dans la gouvernance du pays l’administration (une autre contre-réforme) que Li incarnait. La prééminence du parti était certes précédemment assurée, mais la pluralité des centres d’autorité donnait de la souplesse au système et permettait à la population de s’adresser à plus d’un interlocuteur.
L’autorité du parti doit être dorénavant exclusive.
Les principaux rivaux de Xi Jinping ont été priés de prendre leur retraite et ne sont pas reconduits au nouveau comité central de 205 membres, renouvelé à 65 %. De coutume, l’âge limite d’élection à une direction du parti est fixé à 68 ans (Xi pour sa part en a 69 et s’apprête à vivre encore de très longues années à la tête du PC). Wang Yang (67 ans) a néanmoins été évincé bien qu’il soit président de la Conférence consultative politique du peuple chinois (un organe composé de « partis démocratiques », à savoir des fronts catégoriels du PCC, qui permet des échanges informels) ; pour les pékinologues, il était jugé trop libéral sur le plan économique.
Il faut cependant se garder de trop rationaliser les conflits fractionnels au sein de l’appareil du parti. Il s’agit souvent de luttes de pouvoir bien plus que d’orientation. Ou du moins il faut éviter de les élever à une confrontation entre « réformistes » (Li Keqiang, Wang Yang…) et « conservateurs », en attendant des premiers qu’ils combattent les seconds. Les espoirs placés en Deng Xiaoping pour qu’il démocratise le pays au profit de la population se sont révélés dramatiquement illusoires avec la répression sanglante des mouvements sociaux en 1989. Depuis cette date, trois blocs se sont constitués autour des secrétaires généraux Jiang Zemin, Hu Jintao et Xi Jinping. Aucun n’a jamais mis en cause la dictature du parti sur la société ni envisagé la possibilité qu’existe une opposition politique organisée, même si les deux premiers pouvaient tolérer des dissidences individuelles.
La particularité de Xi est d’avoir purgé les cliques ou fractions rivales, comme il a purgé l’armée et les services secrets. Le XXe congrès a été l’occasion de parachever sa mainmise sur l’appareil du parti-État.
Intronisation constitutionnelle
Des modifications constitutionnelles ont été introduites pour élever encore le statut personnel de Xi Jinping et de sa « pensée ». Le congrès a approuvé des amendements, dont les « Deux Établissements » et les « Deux Sauvegardes », visant à inscrire Xi au cœur du parti et sa pensée politique comme idéologie sous-jacente. Critiquer Xi ou mettre en doute la validité de son discours devient une atteinte à la Constitution !
Le culte de la personnalité de Xi atteint des sommets délirants, comme celui de Mao à l’aube de la Révolution culturelle (1966-1969). La résolution adoptée lors de la réunion plénière du comité central de novembre 2021 affirmait déjà, concernant Xi, que les temps présents représentaient « l’épopée la plus magnifique de l’histoire de la nation chinoise sur des millénaires », « le socialisme à la chinoise [étant] entré dans une nouvelle ère » depuis son accession au pouvoir. Mais aussi que sa « pensée est la quintessence de la culture et de l’âme chinoises », dont la présence au « cœur » du parti « est d’une importance décisive […] pour promouvoir le processus historique du grand renouveau de la nation chinoise ».
À l’origine du culte de Mao se trouvait la volonté d’opposer une autorité chinoise au culte de Staline qui servait à régimenter l’Internationale communiste, mais une fois que l’on a une telle arme entre les mains, on s’en sert aussi pour régler des comptes ou renforcer sa main dans les combats fractionnels, qu’ils aient un contenu politique (ils en avaient souvent à l’époque) ou pas. Quant à la « pensée », celle de Xi n’est pas dans la continuité de celle de Mao. Bien qu’il n’ait jamais réussi à apprendre une langue étrangère et n’ait pas voyagé comme l’ont fait tant de révolutionnaires asiatiques, Mao lisait ce qu’il trouvait en traduction, et « subissait » de multiples influences intellectuelles, chinoises, régionales ou occidentales. Ses œuvres officielles sont plutôt rébarbatives, mais de nombreux documents internes du parti ont été rendus publics durant la Révolution culturelle et s’avèrent bien plus vivants. N’étant pas sinologue, on hésitera à s’aventurer en ce domaine, mais certains jugent qu’il avait une conception de l’histoire imprégnée de taoïsme ; toujours est-il qu’il était convaincu que les sociétés n’évoluent que sous l’impact de ses contradictions internes et donc des luttes sociales. Invoquer les contradictions peut évidemment conduire au meilleur comme au pire, ce qu’illustre l’histoire du « Grand Timonier »…
Masculinisme
Le comité permanent du bureau politique ne comprenait aucune femme ; cela reste le cas. Cependant, depuis 1997, il y en avait toujours une au BP (et même deux, durant une courte période). Un système de quotas avait été établi exigeant la présence d’au moins une cadre à tous les niveaux inférieurs de direction, ce qui a contribué à alimenter un flux faible, mais régulier de candidates.
Aujourd’hui, le bureau politique (24 membres) est intégralement masculin, Sun Chunlan, dite la tsar du Covid, n’a été ni réélue ni remplacée. Selon la journaliste du Guardian Emma Graham-Harrison, en plus de 70 ans, elle était l’une des trois seules femmes à être montée aussi loin dans l’appareil du parti sur la base de son activité propre, sans être l’épouse d’un homme puissant ou un « outil de propagande » ! Le bruit courrait pourtant qu’une autre femme serait intégrée au BP (les noms de deux candidates circulaient). Sur une liste de 205 membres du nouveau comité central avec droit de vote rendue publique le 22 octobre ne se trouvaient que 11 femmes.
Le PCC a près de cent millions de membres, mais moins d’un tiers sont des femmes et cette proportion décline à chaque étape de la hiérarchie. Quand Xi Jinping a commencé à réprimer systématiquement les organisations de la société civile, il a particulièrement ciblé des féministes qui, pourtant, ne représentaient aucun danger. De façon générale, le durcissement du pouvoir de Xi s’accompagne d’une évolution proprement réactionnaire sur les questions dites de société. Pour accroître le taux de fécondité sur le déclin, il exerce une pression à l’encontre de la jeunesse qui résiste à ses injonctions. On peut craindre dans ces conditions que les droits reproductifs ne soient un jour remis en cause.
Comme conclut Emma Graham-Harrison, « une chose que l’on peut affirmer sans risque, c’est qu’en l’absence de femme à la direction, les questions relatives aux femmes seront sous-représentées. »