Publié le Vendredi 21 juillet 2023 à 17h00.

Étudiant·E·s étranger·e·s hors UE : entre noyade consulaire et manne économique

Chaque année, nombre d’étudiantEs étrangers hors UE candidatent pour poursuivre leurs études dans l’enseignement supérieur (ESR) français. Sur son site, Campus France (l’agence chargée, depuis 2010, de promouvoir l’ESR à l’étranger), se flatte d’une attractivité non démentie de la France avec 365 000 étudiantEs étrangers en 2022, soit une augmentation de 18 % en cinq ans.

Ce triomphalisme convenu ne dit rien cependant de réalités d’une tout autre nature. D’abord le fait qu’au regard de la progression des mobilités étudiantes à l’échelle mondiale — 6 millions d’étudiantEs en 2022 (en croissance de 35 % en cinq ans), la France est à la traîne de la dynamique générale, au point d’être passée du 3e (et 1er rang des pays non anglophones) au 7e rang des pays d’accueil des étudiantEs étrangers entre 2014 et 2022. 

Ensuite, il y a la brutalité administrative croissante à laquelle sont soumisE ces étudiantEs non issues de l’UE dans le monde lointain des services consulaires où les démarches pour l’obtention d’un visa étudiant se font à un prix personnel, tant financier que psychologique, exorbitant. 

Appauvrissement des services diplomatiques, politique de fermeture des frontières

En amont des multiples dispositions anti-immigréEs adoptées à l’Assemblée nationale, trois facteurs au moins convergent pour convertir ce simple droit de se déplacer pour étudier en prise de risque et grave mise en danger de soi. 

On pense d’abord, au niveau le plus général, aux effets induits par l’appauvrissement des services diplomatiques dont les personnels et les ressources ont subi les mêmes agressions que l’ensemble de services publics au cours de la période récente. L’avis sur le projet de loi de finances pour 2023, présenté au nom de la commission des Affaires étrangères (octobre 2022), est on ne peut plus clair et explicite sur ce sujet.

Ensuite, et plus conjoncturellement, il y a eu les sanctions prises en septembre 2021 contre les trois pays du Maghreb pour leur refus de rapatrier leurs ressortissantEs en situation irrégulière : baisse de l’attribution des visas « drastique » et « inédite », selon les termes du porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal (voir l’appel de septembre 2022 signé par près de 120 organisations — dont le NPA — des deux rives de la Méditerranée.)

Enfin, la mesure qui cible le Maghreb ne fait qu’accentuer la tendance en cours depuis la fin des années 2000. En 2007, la France a fait le choix d’externaliser le traitement des demandes de visas dans ses consulats. Dans son rapport d’information de juin 2007 sur le service des visas, le sénateur Adrien Gouteyron jugeait alors l’externalisation « souhaitable et nécessaire », vraie « source d’une amélioration de service » pour les demandeurEs de visas. 

Une privatisation des visas juteuse

Outre ces bienfaits promis, le sénateur ouvrait une perspective supplémentaire au plus strict parasitisme capitaliste : « Pour un consulat, le traitement d’un dossier de visa est une dépense. Pour une société privée, une demande de visa est une recette. Plus précisément, la constitution du dossier de demande de visa peut être à l’origine de recettes multiples » : frais de prise de rendez-vous, de constitution de dossier... Aubaine sans limite.

Deux sous-traitants sont rapidement devenus des protagonistes majeurs à l’échelle globale sur ce nouveau marché : TLScontact, basé au Luxembourg et maintenant présent dans 90 pays, et VFS Global, créé en 2001.

Résultats : en guise d’« amélioration », les étudiantEs algériens, marocains, tunisiens, sénégalais, entre autres, ont eu droit à ce qu’il faut se contenter de résumer de la manière suivante : opacité, arbitraire, intrusion, humiliation, négligence, incompétence, rapacité et extorsion assumées, corruption. 

En outre, et comme s’en préoccupe le rapport Hermelin d’avril 20231, cette pénurie organisée n’a pas tardé à devenir l’occasion de nombre de trafics pour l’obtention de créneaux de rendez-vous, pré-réservés pour être revendus à bon prix. 

Ce vandalisme et ce pillage officiels, documentés de toutes parts éveillent désormais la déploration et l’inquiétude de parlementaires qui y reconnaissent en outre une source du « sentiment anti-français »2 dans les pays du Maghreb et d’Afrique notamment. 

L’État est peu pressé de corriger les choses cependant, car les recettes ne se font pas au seul bénéfice des prestataires : pour l’État, les recettes tirées de l’activité visas (étudiants) sont passées de 210,4 millions d’euros en 2017 à plus de 222 millions en 2021, rapporte Michael Pauron3. Et en l’absence de toute possibilité de remboursement en cas de refus (même une fois payés le billet d’avion et l’inscription dans la formation où l’on a déjà été acceptéE), plus de demandes égalent plus de recettes : « Bienvenue en France » ! (L’État britannique a quant lui ramassé de cette manière un pactole d’1,6 milliard en 2014 et 2019.) Le partenariat entre État et entreprises sous-traitantes complémente avec profit les partenariats interétatiques en matière de répression hors du territoire national lui-même. 

Mais, outre les dividendes de l’escroquerie systémique de l’externalisation, il faut signaler l’excédent budgétaire net tirés des étudiantEs étrangers — 1,35 milliard net, selon l’enquête de Campus France en 2022 — qui sont parvenuEs à rejoindre une formation en France (dont les frais d’inscription, pour elles et eux, ont explosés depuis 2018 dans nombre d’universités à la suite du lancement du programme « Bienvenue en France »).

Gain pour les étudiantEs arrivés en France ? Bien trop souvent, à la suite d’un visa remis avec des semaines d’un retard anxiogène ; un premier semestre tronqué, débuté en octobre ou novembre, des difficultés accrues pour régler les nombreuses formalités d’installation et se familiariser avec un milieu universitaire entièrement nouveau, et au bout du compte, une mise en échec au moins temporaire, difficilement évitable.

  • 1. Rapport Hermelin « Propositions pour une amélioration de la délivrance des Visas », avril 2023.
  • 2. Hermelin, p. 18 et Avis, n° 273, « Action extérieure de l’État : action de la France en Europe et dans le monde, français à l’étranger et affaires consulaires », V. Seitlinger, député, p. 85-86.
  • 3. Michael Pauron, « Visa pour la France, le business des frontières fermées », Afrique XXI ; Les ambassades de la Françafrique : L’héritage colonial de la diplomatie française, Lux, 2022.