À la Restauration, les anciens colons veulent reprendre le territoire, rétablir l’esclavage, mais la France sait que Haïti, dans laquelle maintenant la majorité de la population n’a pas connu l’esclavage, résistera jusqu’au bout. Elle choisit d’épuiser le pays libéré au moyen d’une rançon exorbitante.
À l’époque, dans les débats sur la fin de l’esclavage, il était envisagé l’indemnisation des colons esclavagistes. C’est ce qui s’est passé en Grande-Bretagne en 1833, en France en 1848. En 1825 la France n’en est pas là, elle veut laver l’affront, empêcher la contamination de l’aspiration à la liberté dans les autres colonies, reprendre pied dans la région 1, et punir ceux qui avaient osé se libérer seuls, en empêchant cet État-nation de se construire. La voracité impériale invente une sanction : faire payer aux anciens esclaves l’indemnisation des colons qu’ils ont chassés, et aliéner durablement l’État qui en est issu en favorisant le commerce avec la France ! Pour cela elle envoie une flotte de 14 navires armés qui vont imposer la dépendance néocoloniale.
Matières premières contre produits manufacturés
Les élites haïtiennes ont estimé que le pays épuisé par dix ans de guerre ne pouvait continuer à vivre en paria et que la reprise de la production de plantation et du commerce de type colonial allait permettre de rembourser la rançon. Au 19e siècle, 90 % des exportations vers la France sont des matières premières ou des produits de consommation comme le sucre. À l’inverse, les exportations françaises sont des produits manufacturés. Le café est le principal produit envoyé vers le port du Havre, auquel ajoute le bois vers les États-Unis après l’effondrement du prix du café.
La « double dette »
Les 150 millions de francs or représentent 300 % du PIB de 18252, à rembourser en cinq tranches annuelles de 30 millions de francs chacune. À lui seul le premier versement représente environ 6 fois les revenus du pays qui est donc obligé de souscrire un emprunt, que l’ordonnance impose de faire en France. Cet emprunt de 30 millions est diminué des 6 millions de frais bancaires (!) et bien sûr ouvre droit à des intérêts de 6 %. C’est la « double dette ».
En 1838, la dette est réduite à 90 millions, et l’échéancier allongé sur trente ans. En 1880, pour s’assurer du paiement, la France fonde la « Banque nationale d’Haïti », qu’elle contrôle entièrement. D’autres emprunts seront faits, en 1874, 18753, 1896 et 1910, dans les mêmes conditions draconiennes : Haïti va porter le fardeau du remboursement pendant 125 ans. L’indemnité prévue pour indemniser 12 000 anciens colons est rapidement récupérée par des intermédiaires financiers.
Les États-Unis imposent leur asservissement
Haïti est envahie par les États-Unis en 1914. Ils prennent le contrôle du pays, s’emparent des 500 000 dollars or de la banque nationale, puis des finances, imposent un nouvel emprunt en 1922, qui asservit financièrement le pays jusqu’en 1947.
À ces crimes s’ajoute un écocide : la déforestation du pays produite par son exploitation intensive, il ne reste que 2 % du couvert végétal ! Cet écocide est dû aux effets cumulatifs de l’utilisation massive du bois comme source d’énergie pour la production du sucre, puis de l’abattage et du brûlis pour créer les plantations de caféiers, et enfin du commerce du bois pour alimenter en matières premières le développement industriel notamment du textile et du cuir en Amérique et en Europe.
Le coût de la double dette peut être estimé, entre 21 et 115 milliards de dollars selon les auteurs, mais la destruction totale de la société par l’impérialisme, depuis l’esclavage jusqu’à aujourd’hui est, elle, incalculable.