« Nous allons réussir ce qu’on n’a pas osé entreprendre depuis 30 ans ». Le 15 octobre 1995, Alain Juppé, premier ministre, dévoile à la tribune de l’Assemblée nationale son plan global de contre-réformes de la protection sociale.
Ce plan poursuit l’offensive contre la Sécurité sociale menée par les gouvernements « de gauche » et de droite qui l’ont précédé. Il marque pourtant un tournant par sa cohérence et sa brutalité. Face à la puissance de la mobilisation sociale, le volet « retraites » du plan Juppé fut retiré afin d’en préserver les autres aspects qui s’appliqueront par ordonnances en 1996 et seront le cadre de toutes les contre-réformes ultérieures, jusqu’à aujourd’hui.
Baisser la part socialisée des salaires
La création de la Sécurité sociale, en 1945, a permis une avancée sociale majeure. En plus du salaire « net » directement payé au/à la salariéE, tout employeur est dans l’obligation de verser aux caisses de Sécurité sociale une part supplémentaire de salaire, les cotisations, pour financer les retraites, le système de santé ou les allocations familiales.
Pendant les années de croissance économique et de gains de productivité qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, l’augmentation de cette part socialisée du salaire était tolérable par le Capital (même s’il s’y opposait). Elle lui devint insupportable à partir des années 1980, dans une période où maintenir les profits imposait de s’attaquer aux salaires. Orchestrées par l’Union européenne, les contre-réformes libérales se sont succédé. Le plan Juppé en fut un « modèle » : il met en place simultanément de multiples mesures pour réduire les dépenses couvertes par la Sécu et exonérer le plus possible les patrons de leur financement.
1) Le plan Juppé instaure, chaque année, le vote par le Parlement du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) en même temps que le vote du budget de l’État. Il fixe par avance les enveloppes de dépenses maxima pour chaque branche de la Sécurité sociale. En s’emparant de la gestion des cotisations des assuréEs sociaux, l’État se donne tous les moyens d’imposer l’austérité et de ramener la protection sociale à une assistance minimale.
2) Le plan Juppé accélère le désengagement des employeurs du financement de la Sécurité sociale : des impôts (CSG, CRDS) payés avant tout par les classes populaires se substituent aux cotisations versées par les entreprises.
3) Le plan Juppé prévoit l’extension aux salariéEs du secteur public et aux régimes spéciaux (SNCF, EDF, RATP…) des attaques contre les retraites mises en œuvre pour le secteur privé par la réforme Balladur en 1993.
4) Concernant l’hôpital, le plan Juppé a créé les agences régionales de l’hospitalisation (ARH), avec à leur tête un directeur tout-puissant, « bras armé » du pouvoir pour restreindre les budgets hospitaliers, organiser les fermetures et restructurations de services, répartir les crédits entre établissements publics et privés.
L’étatisation de la Sécurité sociale voulue par le plan Juppé, loin de s’opposer à la privatisation des systèmes de santé et de retraite, est au contraire sa condition. La réduction de la protection sociale publique à une couverture minimale et insuffisante ouvre la voie à l’extension des assurances « complémentaires » privées (fonds de pension pour les retraites, assurances santé pour les soins).
J.C. Delavigne