Alors que Jupiter voulait se passer des corps intermédiaire et du dialogue, la rue et les ronds-points sont venus lui rappeler qu’on ne gouverne pas sans le peuple.
Macron avait multiplié tout au long de la première année de son mandat les petites phrases méprisantes pour les travailleurEs. Il avait d’abord en juin 2017 déclaré qu’une « gare, c’est un lieu où on croise les gens qui réussissent et les gens qui ne sont rien », puis multiplié les sorties : du « pognon de dingue » que coûtent mes minimas sociaux à « qu’ils viennent me chercher » à propos de l’affaire Benalla à l’été 2018. C’est d’ailleurs sur cette dernière saillie que les Gilets jaunes chantaient « Macron, on vient te chercher chez toi ! » tout près de l’Élysée !
Un automne de colère
Tout un monde de travailleurEs de petites boîtes, de chomeurEs, souvent éloignéEs de toute organisation syndicale, s’est mobilisé chaque samedi pendant des semaines, souvent rejoints par des militantEs politiques ou syndicaux. Comme pour faire mentir Macron, ils avaient choisi des « vestes à haute visiblité ».
Il a fallu quand même quelques semaines avant que la convergence du mouvement ouvrier traditionnel et la colère des Gilets se fasse. Lors de l’acte I, ce mouvement était regardé par une partie des militantEs comme un peu poujadiste. Il faut dire qu’il a évolué au fil des confrontations qui furent parfois violentes. On se souvient du saccage de l’Arc de triomphe le 1er décembre, lors de l’acte III, des touristes effrayés place Vendôme en plein shopping de Noël, de l’hélico prêt pour Macron la semaine suivante…
Très vite, la répression s’abat. Le 2 décembre, Zineb Redouane meurt après avoir été touchée à la tête par une grenade lacrymogène. Le 6 décembre, les lycéenEs de Mantes-la-Jolie sont à genoux, face au mur, les mains sur la tête… Glaçant !
La veille, Macron vient d’annoncer qu’il ne rétablira pas l’ISF (impôt sur la fortune). Dès l’acte IV, le 8 décembre, le nombre de blesséEs dépassent le millier et il y a 1 700 gardes-à-vue.
Pour sortir par le haut, Macron annonce l’augmentation de la prime d’activité pour les salariéEs au smic, la défiscalisation des heures supplémentaires et la suppression de la hausse de la CSG pour les retraitéEs touchant moins de 2 000 euros mensuels. Pourtant, la colère ne faiblit pas. Des fractures dans le mouvement se font jour.
Un hiver pour s’organiser
Les Gilets jaunes commencent une mue. Dès le 15 décembre, l’idée d’un référendum d’initiative citoyenne (RIC) est discutée. À Commercy, le 26 janvier 2019, lors de l’Assemblée générale des Gilets jaunes, 400 d’entre eux se réunissent. Le 5 février, la CGT qui a appelé à la grève générale, défile à leur côté.
Le pouvoir, de son côté, renforce son arsenal policier et lance en même temps le « Grand débat national » auprès de six cents maires, sorte de réhabilitation des corps intermédiaires, tant fustigés au début de son mandat par le président des riches.
Chaque samedi, un nouvel acte des Gilets jaunes se joue et on se souvient des longues marches sportives à un rythme effréné dans Paris et ailleurs pendant des semaines et des semaines. On marche désormais pour la démocratie, le RIC et se faire entendre.
À Saint-Nazaire, les 5, 6 et 7 avril 2019, une nouvelle assemblée générale des Gilets jaunes se tient avec 700 déléguéEs. Se discute le pouvoir d’achat, la fiscalité, les inégalités.
Faire justice
Dans ce climat d’effervescence et de politisation qui se poursuit au printemps, c’est surtout la contestation des dispositifs policiers et de la répression qui est au cœur des discussions. Selon David Dufresne, 350 personnes ont été blessées à la tête dont 30 qui ont été éborgnées. Pour ces « MutiléEs pour l’exemple », qui se sont réunis en collectif, défendre ses convictions a eu un effet pour toujours dans leur chair et leur esprit.
Des leçons pour le rapport de forces
Cette répression inouïe n’a guère décru depuis, et les violences policières sont devenues un sujet politique de première importance. Car le cours autoritaire s’est renforcé. Face à l’impossible consentement des populations à la politique de régression sociale et à l’impraticable contrôle de la contestation dans les limites d’une démocratie parlementaire vidée de sa substance, le pouvoir défend les intérêts des dominants par tous les moyens !
Si les Gilets jaunes ont permis d’ébranler le pouvoir, ce que n’avaient pas réussi les cheminotEs avant eux en avril 2018 face à la privatisation, ils ont aussi été un exemple pour tous celles et ceux qui s’opposent au cours autoritaire et inégalitaire en Europe et dans le monde. Ils ont su donner force et espoir à toutes celles et ceux qui se sont mobilisés contre le projet de réformes des retraites fin 2019, avant que la pandémie de Covid et sa gestion toujours injuste et inégalitaire viennent étouffer ce début d’organisation collective.
Cinq ans après, les raisons de la colère sont toujours là, et même plus. Force est de constater qu’il faudra à tous les opposantEs une organisation et une auto-organisation démocratique sans faille pour entraîner une majorité des travailleurEs et renverser les politiques de régression vers une société écosocialiste, féministe, antiraciste et égalitaire.