En 2020, le Rassemblement national semble, à première vue, en meilleure posture qu’en 2014 avec un « matelas » de 1 500 conseillers municipaux (malgré près d’un tiers de départs) et un rayonnement depuis les mairies conquises en 2014 vers les villes voisines (bassin minier du Pas-de-Calais, autour de Béziers, dans le Vaucluse).
Le RN dispose désormais d’un « millefeuilles » d’élus dans certains territoires : mairies, conseillers départementaux, députés ou sénateurs, etc. Mais ce constat est à nuancer depuis les révélations des problèmes d’argent du RN et surtout de l’amateurisme de l’encadrement du parti : listes montées à la dernière minute (Amiens), nombreux renoncements en cours de route (Belfort, Limoges), têtes de liste inconnues ou parachutées (Calais, Lens). L’argument de « la qualité plutôt que la quantité » sert surtout à cacher l’incompétence et le manque de travail. Le summum est atteint dans l’Essonne (91), où il n’y aura qu’une seule liste RN contre 15 en 2014.
Le RN a toujours d’énormes difficultés à s’implanter dans la durée et à trouver des candidats sans casseroles : même à Paris, Serge Federbusch en était fin janvier à rechercher des colistiers par Youtube… Avec environ 400 listes déposées, le RN est absent de bastions électoraux (Pays de Montbéliard, Amnéville, Brignoles), de 15 départements entiers (Landes, Corse, Loiret) et de la moitié des chefs-lieux de département du pays.
À l’extrême droite aussi, l’union est un combat
Des accords locaux ont été passés avec le Centre national des indépendants et paysans (CNIP, à Avignon) ou le Parti chrétien démocrate (Saint-Étienne, Lyon où l’accord a d’abord été désavoué par la direction nationale du RN) et très rarement avec Debout la France (Elbeuf, Arras), mais il n’y a eu aucun accord national. Ces partis se retrouvent donc parfois aussi sur des listes concurrentes du RN (Tarascon, Toulouse). Il n’y a eu aucun accord vec la Ligue du Sud : il y a même une liste RN à Orange contre Bompard (menée par son ancien directeur de cabinet). À noter aussi des débauchages à droite, essentiellement dans le sud-est (Lunel, Frontignan, Bagnols-sur-Cèze, Sète) et du côté de la Gironde (Saint-André-de-Cubzac), mais assez limités en effectifs (aucun maire LR sortant) et presque toujours sanctionnés par les exclusions des LR de leur parti. Possible qu’il y ait eu aussi des accords secrets avec la droite dans certaines villes... Enfin, on trouve des candidats RN issus du syndicat étudiant la Cocarde (Saint-Raphaël, Valenciennes) ou des Identitaires (Vardon à Nice, Antoine Baudino à Berre-l’Étang). Autre cas de figure : des élus sortants RN se présentant en dissidents (Limoges, Tarascon, Calais) ou encore Florian Philippot à Forbach.
Le Parti de la France présente quelques candidats (Taverny, Ronchamp) ainsi que les Patriotes à Forbach, Roubaix, Dieppe et Grenoble. Marginalement, l’UPR présentera pour la première fois une vingtaine de listes aux municipales (Bordeaux, Nantes, Cannes, Montreuil).
L’orientation autour du « localisme », lancée par opportunisme pour les européennes, après la mobilisation Gilets jaunes, a du mal à se concrétiser. Globalement, les propositions des listes sont fortement marquées par une orientation bien ancrée à droite, autour de la propreté, la sécurité et la baisse de la fiscalité. C’est finalement faire l’alliance des droites localement, souvent du label « droite populaire » de Mariani, sans en faire une ligne nationale.
De nouvelles mairies ?
Le risque est important de voir être réélus les maires RN (sauf peut-être à Mantes-la-Ville où ils n’avaient que 61 voix d’avance en quadrangulaire, et à Hayange, gagnée aussi en quadrangulaire) et s’y ajouter de nouvelles mairies, notamment dans le bassin minier, où se trouvent la grande majorité des communes où le RN a fait plus de 50 % aux européennes, mais aussi dans le sud-est (Vaucluse, Gard). Les analyses laissent à penser que c’est une dizaine de nouvelles mairies qui pourraient basculer dans les mains du RN dont Perpignan (il ne manquait que 5 % à Louis Aliot en 2014), Carpentras, Saint-Gilles, Denain ou Bruay-La-Buissière. Les réélections et les victoires du RN dans des villes très populaires doivent nous interroger.
La perspective de la présidentielle
Le projet RN est de notabiliser ses élus en évitant les scandales pour gagner en crédibilité. Gagner des mairies lui permet aussi de créer un « écosystème » militant : collaborateurs d’élus, embauche de militants, subventions d’associations amies, combat culturel sur le modèle des municipalités communistes. Les cadres territoriaux embauchés se transformeront plus tard en candidats dans une mairie voisine ou à une autre élection. En outre, les mairies RN peuvent ainsi alimenter les petites entreprises des activistes identitaires, dont l’influence n’est pas négligeable chez les jeunes militants du RN.
C’est tout cet ensemble que le RN tente de faire fructifier, avec la présidentielle en ligne de mire. Si les résultats auront un sens nationalement, c’est surtout localement qu’il faudra analyser les progressions et les reflux.
À nous de trouver les grains de sable pour enrayer la machine de RN. C’est l’occasion de réfléchir collectivement aux initiatives unitaires à prendre, d’une part pour s’opposer aux campagnes aujourd’hui du RN, puis demain pour le faire définitivement reculer, lui et ses idées.