La condamnation de Marine Le Pen et ses amis du RN ouvre une nouvelle étape de la crise des institutions qui organisent le pouvoir des classes dominantes en France. Non seulement cette énième péripétie des aventures judiciaires de la dynastie Le Pen n’éloigne pas l’extrême droite du pouvoir, mais elle peut même l’en rapprocher. Indépendamment de la personnalité qui parviendra à l’incarner.
Les exemples ne manquent pas dans le monde, à commencer par Trump, de la capacité de ces courants, qui se posent en pourfendeurs du système pour mieux défendre l’ordre établi, de capter le pouvoir alors même qu’ils ont des démêlés judiciaires. Ils se présentent à la fois comme victimes du pouvoir judiciaire et comme méritant d’être au-dessus des lois pour accomplir leur mission de sauveur du peuple. Ce qui constitue déjà une première étape de remise en cause institutionnelle.
Pour ne pas laisser à l’extrême droite une place centrale
On ne va évidemment pas se plaindre de l’échec du grand « rassemblement populaire » organisé par le RN le 6 avril. Mais sans non plus se tromper : ce n’est pas par la rue que l’extrême droite compte conquérir le pouvoir en 2025. Elle n’a jamais envisagé la sédition, comme certains à gauche en ont agité la menace. Elle n’a pas non plus besoin de manifestations de masse pour que Retailleau enfile la robe d’avocat commis d’office ou que Bayrou soit « troublé » par l’inéligibilité de Le Pen, et donc en creux reconnaisse sa légitimité à postuler au pouvoir. Une partie du personnel politique — comme, n’en doutons pas, une bonne partie de la bourgeoisie — commence à trouver que la justice va trop loin, et qu’il faudrait se débarrasser des contre-pouvoirs institutionnels qui marquent des velléités d’indépendance.
la question, posée de manière de plus en plus pressante, est celle de la capacité de la gauche sociale et politique à réagir urgemment pour construire un front unitaire large contre l’extrême droite. Un front capable de s’opposer dans la rue, sur le plan idéologique et de tracer une perspective électorale crédible en liant les trois. Faute de quoi, elle se condamnera à balbutier de timides protestations. Ce qui s’est produit dans la dernière séquence avec des appels en ordre dispersé qui ne cachaient à personne la défiance généralisée. On a ainsi eu droit au refus du PS et du PCF d’appeler le 6 avril. Se réfugiant derrière les organisations du mouvement social, ils voulaient surtout ne pas être noyés derrière les Écologistes et, surtout, LFI. En prenant 10 jours pour organiser l’échec d’un appel à défendre « l’État de droit », le PS et le PC ont fait la démonstration en raccourci de la stratégie de l’échec qui ne peut qu’alimenter la démoralisation.
L’espoir n’est pas dans les urnes
Car à l’inverse de l’extrême droite, reprendre la rue n’est pas une option parmi d’autres pour la reconstruction d’une gauche de combat, radicale et lutte de classe. Retrouver la confiance dans nos forces passera nécessairement par se compter, nombreuxEs, déterminéEs et solidaires pour affronter nos adversaires sur tous les terrains où ils nous attaquent. Montrer qu’on ne nous fera pas taire, que nous prenons la mesure du danger que représente l’extrême droite pour les salariéEs, les femmes, les personnes raciséEs, les LGBTI et que nous leur ferons barrage. Pour cela, il y a urgence à réactiver et renforcer un front uni, sur le plan idéologique, militant et électoral, pour faire face au danger de l’extrême droite. Le délitement des espoirs suscités par le NFP résulte de l’incapacité des organisations d’une part à résister à la pression de Macron et d’autre part de leur incapacité à se détacher de l’agenda électoral. Leur indexation sur l’élection présidentielle réactive la concurrence entre des partis, qui n’ont pourtant pas donné de raisons de leur faire confiance chaque fois qu’ils ont été au pouvoir. Ce ne sont pas les déclarations de tous les postulantEs à être les meilleurEs remparts contre l’extrême droite qui vont faire renaître de l’espoir.
Un cadre unitaire de mobilisation capable d’incarner la rupture politique
Desserrer l’étau dans lequel se sentent menacéEs d’écrasement nos collègues, voisinEs, familles, ne peut passer que par des gestes forts. Des gestes qui prouvent que ce qui compte ce n’est pas le casting des futures échéances électorales, mais la volonté de construire le rapport de forces. Et pour cela de convoquer une réunion pour créer des cadres de toute la gauche sociale et politique, non seulement de « Poutou à Faure », mais incluant les forces syndicales, associatives qui prennent la mesure du danger de l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite. Un cadre capable d’organiser immédiatement des mobilisations de rue pour résister au démantèlement des droits des salariéEs, et de l’ensemble de la population, de prendre des initiatives pour protéger les plus précaires, à commencer par les sans-papiers et toutes celles et ceux viséEs par les politiques racistes et xénophobes, sexistes et LGBTIphobes. Mais aussi un cadre qui discute un programme de rupture y compris de rupture démocratique, avec la Constitution présidentialiste qui taille un costume sur mesure à un pouvoir autoritaire de l’extrême droite.
Cathy Billard