travaille à la direction innovation programme de l’association AIDES qui lutte contre le VIH. Il rappelle que le sida est toujours là, toujours tabou et que les discriminations autant que les inégalités sociales sont des facteurs majeurs de contamination.
En France, près de 200 000 personnes vivent avec le VIH, dont 24 000 qui l’ignorent. Qu’est-ce que cela dit de l’accès au dépistage et de la prise en charge au long cours des personnes ?
200 000 personnes, c’est beaucoup. Le nombre de morts, lui, est très réduit aujourd’hui grâce aux progrès de la médecine et grâce aux traitements. Cela sous-entend qu’il faut prendre en charge au long cours ces personnes séropositives. Elles ont besoin de voir leur médecins une fois, deux fois par an quand tout va bien, d’avoir des prescriptions médicales, des traitements qu’on renouvelle chaque mois, et des bilans sanguins assez réguliers. Une médecine adaptée, des moyens, une gratuité pour les patientEs vivant avec le VIH est nécessaire. Aujourd’hui, on peut vivre avec le VIH avec une espérance de vie aussi longue que des personnes qui n’ont pas le VIH.
On peut vivre avec le VIH grâce au fameux U equals U (Undetectable = Untransmittable). Quels messages de prévention souhaites-tu faire passer ?
Le premier message, c’est : protégez-vous ! Il y a plusieurs manière de le faire. D’abord, la prévention comportementale : utiliser des préservatifs. La seconde est biomédicale, c’est ce qu’on appelle la PrEP (prophylaxie pré-exposition), le traitement préventif avant les rapports sexuels et après. On sait que parfois on peut prendre un risque… Il y a plein de facteurs et plein d’explications différentes. On n’est pas infaillible. Il y a le U equals U (Undetectable = Untransmittable) c’est-à-dire : charge virale indétectable = on ne peut pas transmettre le VIH. Il y aussi le Test and Treat, c’est-à-dire dépister et traiter immédiatement, les gens ne seront pas malades et ne contamineront pas. Mais, le dépistage arrive trop tard, donc surtout, faites-vous dépister ! Ne pas se faire dépister, c’est peut-être avoir été infectéE et ne pas le savoir et finir par le déclencher, passer en stade sida et risquer sa vie. Alors que si on est dépistéE et misE sous traitement précocement, on ne développera pas la maladie, on ne fera pas de maladie opportuniste et on va vivre. Le premier bénéfice est individuel : on ne va pas mourir du VIH même si on est infectéE. Le second n’est pas négligeable : quand on prend un traitement efficace régulièrement et qu’on a une charge virale indétectable, on n’est plus contaminant, ce qui veut dire qu’on peut avoir une vie normale, avoir des rapports sexuels, des enfants, vivre comme presque n’importe qui. « Presque » parce que je n’oublie pas bien sûr les facteurs de stigmatisation. Il ne faut pas faire l’autruche par rapport au VIH ni culpabiliser ni avoir honte. Il faut consulter, se faire dépister pour éviter de contaminer les autres.
En France, 6 200 personnes découvrent chaque année leur séropositivité. Après plus de 40 ans et les traitements actuels, comment cette épidémie n’est-elle pas derrière nous ?
On a peur de se faire dépister ou alors on méconnaît la maladie. En France, il y a beaucoup moins de prévention qu’à une époque. On a banalisé l’épidémie et la maladie. Les gouvernements ont dû se dire : « Maintenant qu’il y a des traitements, les gens ne meurent plus, on va faire des économies ». La prévention à l’école est un autre aspect qui concerne le VIH mais aussi les grossesses, la santé sexuelle, la sexualité, le plaisir. La France est un pays rétrograde et conservateur en matière d’éducation sexuelle, en matière de prévention pour la sexualité comme pour l’usage de drogues. On intervient trop rarement et trop tardivement. Il faut éduquer les mômes très tôt pour qu’ils prennent le moins de risques possible. C’est pareil pour les grossesses ! Parmi les freins au dépistage, parmi les facteurs qui vont favoriser les contaminations, il y a l’exclusion, les stigmatisations, les représentations, l’homophobie, le racisme, détester les migrantEs, détester les usagerEs de drogues, faire la chasse aux travailleuses du sexe, aux clients.
Ces publics extrêmement vulnérabilisés prennent beaucoup moins soin de leur santé. Même si en théorie l’accès au soin est gratuit, il faut avoir les moyens de se nourrir normalement. Quand on croule sous les dettes, quand on n’arrive pas finir le mois, à se loger, les conditions ne sont pas réunies pour prendre soin de soi. La précarité nous concerne toutEs. La responsabilité des gens à se protéger n’est pas seule en cause, il y a des facteurs de vulnérabilité que les gens subissent et qui les rendent moins précis et prompts à répondre à leurs exigences de santé.
En 2020, 30 % des infections VIH ont été découvertes à un stade avancé. Est-ce qu’on peut dire que le sida est encore un sujet tabou ?
Oui, le sida est tabou, encore. Certes, on n’a plus de personnalités politiques ouvertement sérophobes comme Le Pen avec les « sidatoriums » ou le « Sida mental » mais on peut voir une campagne de prévention interdite par le maire dans une ville parce qu’on voit sur l’image deux hommes qui s’enlacent. Ces discriminations qui sont basées sur l’orientation sexuelle, sur le genre, sont sexistes, racistes et font le lit de l’épidémie. Les contaminations restent dans des groupes vulnérables, comme les sans-papiers qui se contaminent en arrivant en France. Les mauvaises conditions de vie sont facteurs de contamination. Les sans-papiers ont peur d’aller à l’hôpital public, car peur de la police donc d’aller vers toute structure financée par l’État. C’est la même chose pour les femmes travailleuses du sexe (TDS) et les personnes trans qui font l’objet de campagnes abjectes. Est-ce qu’on pense que les gens peuvent prendre soin d’eux quand ils doivent à longueur de journée se battre pour leur survie ?
Le rôle des associations de lutte contre le VIH et leur stratégie du « aller vers » est primordial…
C’est une stratégie que nous, dans les associations, avons inventée. On n’attend pas que les gens viennent dans nos lieux d’accueil. Les militantEs vont directement sur les lieux de prostitution. Il y a plein de raisons pour aller vers les gens. Dire aux gens d’aller se soigner de force, cela ne marche jamais.
Pourquoi les pouvoirs publics n’ont-ils pas tiré les enseignements de la lutte contre le VIH pendant la période covid ?
Les principes de Denver en 1983 ont énoncé l’idée suivante : « Plus jamais vous ne ferez quelque chose pour nous sans nous, nous les malades ». Les associations y adhèrent. On fait à partir des besoins des malades, de leur spécificité, de leur contexte de vie, leur environnement social. Pendant la période covid, l’État a fait tout le contraire. On a juste enfermé les gens et on ne leur a pas permis d’adhérer aux stratégies de santé. Quand la police se substitue aux soignantEs et qu’elle contrôle dans la rue les citoyenEs, les gens ne peuvent pas adhérer.
Il faut que le monde entier ait un accès au dépistage, au traitement. Cela nécessite beaucoup d’argent pour mettre fin à l’épidémie et une volonté politique. Le sida est une maladie éminemment politique, une maladie qui touche d’abord les minorités. On va manifester le 1er décembre pour l’hôpital public, pour l’accès aux soins, contre le racisme, contre le sexisme, contre la transphobie, contre l’homophobie.
Propos recueillis par Diego Moustaki