Entretien. Emmanuel Vire est secrétaire général du SNJ-CGT.
Peux-tu nous dresser un rapide état des lieux de la profession de journaliste ?
À première vue, la profession de journaliste est assez protégée, réglementée depuis 1935, avec des organismes paritaires (où siègent des représentants des organisations syndicales et patronales) qui gèrent la formation et l’entrée dans le métier (via l’attribution de la carte de presse), une convention collective… Bref, les journalistes peuvent s’appuyer sur un cadre réglementaire plutôt protecteur – un cadre que beaucoup d’employeurs jugent évidemment exorbitant. Mais c’est un trompe-l’œil. La profession ne se porte pas bien. Sur le plan quantitatif, le nombre de cartes de presse baisse depuis 2012 avec environ 500 cartes de moins par an. De plus, nous faisons face à une très forte augmentation de la précarité. Sur 35 000 cartes de presse, on compte pas moins de 25 % de précaires – CDD, pigistes et chômeurs. Et il faut ajouter à cela tous les journalistes qui travaillent sans la carte de presse. Car pour l’obtenir, il existe une double condition : travailler majoritairement dans le domaine des médias et gagner environ un demi Smic mensuel. Or, beaucoup de pigistes restent en dessous de ce seuil, pourtant très bas. En 1980, le salaire brut moyen d’un journaliste représentait 1,8 du salaire moyen français. Aujourd’hui, il en représente 1,2. Cela alors qu’ils sont de plus en plus diplômés…
Quels sont les principaux -dangers qui planent aujourd’hui sur le -métier de journaliste ?
La profession est bouleversée par la mainmise croissante de quelques milliardaires sur les grands médias, et par toutes les évolutions technologiques qui ont lieu dans le métier. Cette combinaison conduit à une surexploitation des journalistes. Leur tâche est d’autant plus rude que les rédactions se vident, leurs budgets sont amputés, leurs déplacements encadrés, les bureaux à l’étranger fermés, la durée des enquêtes fortement réduite. Enfin, le travail de recherche est de plus en plus souvent parcellisé pour permettre aux hiérarchies de construire l’information livrée au public selon des schémas idéologiques pré-établis, cela au détriment évidemment de la qualité de l’information, altérée à la fois par des conditions de travail dégradées et par la mise en cause du pluralisme. Le journaliste est devenu un « couteau-suisse » à qui on demande de tout faire avec des moyens réduits.
Quelles propositions du SNJ-CGT pour libérer les médias ?
Le SNJ-CGT, deuxième syndicat de la profession avec 25 % des voix, porte trois grandes revendications. D’abord le renforcement des lois anti-concentration afin d’empêcher les milliardaires de bâtir des empires médiatiques. C’est un point sur lequel le SNJ-CGT ne cède pas, alors que beaucoup de journalistes ont capitulé sous prétexte que seuls les grands groupes peuvent mettre de l’argent pour sauver les entreprises de presse. Il faut aussi que les rédactions soient indépendantes et puissent résister aux velléités des actionnaires. Cela passe, et c’est une revendication de l’ensemble des syndicats de journalistes, par la création d’un statut juridique pour les équipes rédactionnelles afin qu’elles puissent être un véritable contrepoids à l’actionnaire. Enfin, il faut revoir en profondeur le système des aides à la presse. Il n’est pas acceptable par exemple que cinq milliardaires se partagent près de la moitié des aides directes que l’État apporte aux journaux. L’ensemble des aides à la presse (directes et indirectes) dépasse tout de même le milliard d’euros annuel.