Tout indique aujourd’hui que la crise, globale, mondiale, multidimensionnelle, va durer et s’aggraver. Avec comme conséquence principe une aggravation dramatique du chômage et du sous-emploi.
Où en sommes-nous de la crise économique ?
Aujourd’hui tous les indicateurs, publiés tant par les organisations internationales (Union européenne, OCDE, FMI….) que les institutions nationales (comme l’INSEE en France), font état d’une aggravation présente et à venir : accentuation de la récession, chômage record. Les gouvernements sont obligés de reconnaître que la situation est plus grave que prévu….tout en s’empressant la plupart du temps d’ajouter qu’on devrait voir le bout du tunnel vers la fin 2010 !
Une crise structurelle
En réalité, cette crise ne peut pas constituer une parenthèse dans le fonctionnement du capitalisme néolibéral ; elle est au contraire profonde, globale, mondiale, et sera probablement durable. Même si elle présente des racines communes avec elles, elle se distingue des crises récurrentes qui ont jalonné le fonctionnement de l’étape néolibérale du capitalisme depuis la fin des années 1980 (crise boursière de 1987 à New-York, crise japonaise des années 1990, crise du peso mexicain de 1994, crise asiatique de 1997-98, crise de la « Nouvelle économie » d’Internet de 2001 entre autres), qui bien que profondes n’ont pas duré et ne se sont pas étendues à l’ensemble du système.
Pour comprendre pourquoi les mesures aujourd’hui mises en œuvre ne peuvent être qu’inefficaces, il faut revenir sur le fonctionnement du capitalisme néolibéral depuis le début des années 1980.
Celui-ci repose sur deux piliers : une progression des salaires maintenue en dessous de celle des gains de productivité, après une baisse de la part des salaires dans la richesse produite d’environ 10 % en vingt ans dans tous les pays industrialisés, pour en arriver aujourd’hui à un taux historiquement faible ; et une liberté absolue de mouvement et d’action pour les capitaux. Ces deux données sont étroitement liées, comme l’explique Michel Husson (Un pur capitalisme, Editions page-deux, 2008). En effet, l’offensive généralisée contre le salariat a généré au cours de cette période une restauration des taux de profit des entreprises, qui n’a guère de précédent dans l’histoire par son ampleur et sa durée. Or, c’est un problème récurrent pour le capitalisme, les débouchés pour les marchandises produites ne sont jamais garantis. C’est d’autant plus problématique que l’immense majorité de la population active est salariée dans les pays industrialisés et que c’est la compression des salaires (et non des gains rapides de la productivité du travail) qui assure aujourd’hui cette envolée des profits. Dès lors on observe un décalage (historiquement inédit) entre l’importance des taux de profit et la faiblesse des taux d’accumulation et de croissance. La finance sert à combler la différence en constituant les utilisations diverses des profits non accumulés : distribution de dividendes, rachat par les entreprises de leurs propres actions pour faire monter les cours, etc.
Dans ce contexte, l’envolée de l’endettement des ménages dans toutes les catégories de revenus, notamment aux Etats-Unis, a servi à pallier l’insuffisance de pouvoir d’achat de la majorité des salarié(e)s, et à assurer une demande de consommation suffisante pour maintenir la croissance, tout en offrant par le jeu des innovations financières de nouvelles occasions de placements aux capitaux disponibles.
La crise entre dans une nouvelle étape.
Aujourd’hui on peut dire que la crise entre dans une nouvelle étape et touche véritablement au cœur du système productif. L’aggravation prévue provient de plusieurs causes qui se cumulent.
Tout d’abord, les péripéties de la crise proprement financière ne sont pas terminées. Une crise des prêts hypothécaires moins risqués que les subprime est en train de se profiler. Par ailleurs, comme le montre le scandale de la firme d’assurance AIG aux Etats-Unis (qui, à la suite de pertes considérables, a touché 182 milliards d’aides de l’état… puis distribué 165 millions de dollars de bonus à ses dirigeants, et aurait encore en réserve quelques 300 milliards de dollars de garanties de créances douteuses), les risques de mise en défaut touchent de nouveaux compartiments du système financier, et de nouveaux établissements dont certains d’une taille considérable. On ne peut pas non plus exclure une faillite générale des fonds de pension, déjà pour beaucoup en grande difficulté, et on imagine sans peine les conséquences dramatiques que cela aurait pour des millions de salarié(e)s américain(e)s. Enfin il est fort possible que l’augmentation des déficits publics consécutive aux plans de relance donne lieu à l’apparition d’une nouvelle bulle financière, autour des titres de la dette publique.
La crise du système bancaire lui-même n’est pas résolue. Certes, les interventions des banques centrales et les plans de sauvetage des gouvernements ont réussi à éviter lfeffondrement qui en 1929 avait été la conséquence du laisser-faire. Mais les pertes de nombre de banques ont été et sont encore considérables, et surtout les causes de la paralysie du système demeurent : les « actifs toxiques » y sont toujours présents, sans que personne ne sache vraiment qui les détient. Dans ces conditions, les banques évitent à prendre des risques, et ont considérablement durci les conditions du crédit accordé aux entreprises, notamment aux PME, et aux ménages. Même si les banques centrales ont diminué leurs taux dfintérêt directeurs (celui de la FED aux Etats-Unis est désormais nul), cela nfa pas sufi à inciter les banques à prêter davantage car elles préfèrent restaurer leurs marges de profit.
Des marchés financiers et du secteur bancaire, la crise se transmet à la production et à l’emploi par plusieurs mécanismes.
Tout d’abord le durcissement des conditions du crédit, ajouté à la perspective de débouchés insuffisants, pousse les entreprises réduisent leurs investissements, déjà plutôt faibles en Europe pendant la période précédant le déclenchement de la crise. Des entreprises importantes font faillite, notamment dans les secteurs, comme la construction ou l’automobile, où la demande repose largement sur le crédit à la consommation.
L’automobile est évidemment le secteur qui, aux Etats-Unis comme en Europe, connaît la crise la plus grave, les conséquences de la crise bancaire étant venues s’ajouter à une crise structurelle bien antérieure du secteur. L’heure est aux grandes manœuvres de rachat (Chrysler, Opel) ou de dépôts de bilan (Général Motors). Mais la face cachée de cette crise, outre les suppressions d’emplois dans le secteur lui-même, ce sont les innombrables conséquences en chaines pour tou(te)s les salarié(e)s des équipementiers et sous-traitants.
L’emploi apparaît bien aujourd’hui au cœur de la crise. L'OCDE prévoit 20 à 25 millions de chômeurs en plus dans le monde à cause de la crise d'ici 2010. En France, le chômage (officiel) a augmenté de plus de 16 % en un an pour atteindre 4 millions en incluant toutes les catégories recensées par Pôle emploi (contrats aidés, activité réduite) mais qui bien sûr sous-estiment drastiquement le sous-emploi (temps partiel), le chômage déguisé, les chômeur(se)s découragé(e)s….. On a là non seulement une conséquence mais également un facteur d’aggravation de la crise : on ne compte plus les entreprises qui licencient tout en faisant des profits, sans compter les dizaines de milliers d’emplois supprimés dans la fonction publique en France.
Tous les éléments d’un cercle vicieux dépressif sont présents : chômage, stagnation voire diminution de la consommation, baisse de l’investissement des entreprises, etc. Aujourd’hui, la menace de déflation, c’est-à-dire d’une baisse du niveau général des prix en même temps que des taux de croissance, n’est plus à écarter. En effet, on a observé dans la zone euro en mai pour la première fois depuis 1996 une inflation zéro. Plusieurs pays comme l’Espagne, l’Irlande et la Belgique, ont déjà un taux d’inflation négatif.
Désormais, on ne parle plus de ralentissement de la croissance, mais de récession véritable. En 2009, le PIB devait avoir reculé de 2,7 % en Europe, de 3,1 % dans l’ensemble des pays industrialisés, et de 1,5 % dans le monde : des chiffres inédits depuis la Grande Dépression des années 1930.
Quant aux économies du Sud, si elles vont continuer à croître notamment grâce aux pays dits « émergents », c’est de façon ralentie ; leurs exportations en direction des pays industrialisés sont déjà touchées. Les pays exportateurs de matières premières (souvent les plus pauvres) vont de plus être atteints par la diminution du cours de celles-ci. L’hypothèse d’un découplage (les pays « émergents » prenant le relai des Etats-Unis comme locomotive de la croissance mondiale) a fait long feu, tant la croissance de ces pays dépend encore de leurs exportations vers les pays industrialisés. On a donc un attelage fragile où la croissance des économies « émergentes » est dépend des exportations vers les Etats-Unis, dont le financement des déficits commercial et budgétaire dépend de l’afflux des capitaux du monde entier (et notamment les fonds souverains des économies « émergentes », en premier lieu la Chine). Or cet afflux est lui-même tributaire de la bonne tenue du dollar, fragile en période de récession…. On voit se profiler le risque d’une crise monétaire qui représenterait un nouveau facteur d’aggravation de la crise mondiale.
Face à cette situation, les gouvernements improvisent et parent au plus pressé. Cependant, les leviers traditionnels de la politique économique ne semblent plus fonctionner, le modèle néolibéral a fait la preuve de sa faillite, et les classes dirigeantes ne semblent pas disposer de modèle de rechange. Comme l’ont montré les résultats du G 20, l’hypothèse d’un nouveau modèle réformiste, du type du New Deal des années 1930 aux Etats-Unis, ne semble pas à l’ordre du jour.
Certes on peut envisager un aggiornamiento : le capitalisme néolibéral est à un tournant, et des aménagements de son fonctionnement vont être mis en œuvre, avec des modifications techniques des règles du jeu des systèmes bancaires et financiers. Les Etats vont continuer à utiliser nombre d’instruments d’intervention inimaginables il y a encore deux ans, pouvant aller jusqu’à la « nationalisation » partielle ou totale (mais provisoire et sans pouvoir de décision) d’établissements bancaires ou financiers, voire d’entreprises industrielles comme dans le cas de Général Motors.
Mais il n’y a pas, et il n’y aura pas de rupture avec les principaux piliers du fonctionnement de ce système : la liberté absolue de circulation des mouvements de capitaux, et un partage salaires-profits durablement défavorable aux salaires. Le tout sur fond de mise en concurrence de tous les travailleurs et de tous les territoires à l’échelle de la planète, et de tentative de marchandiser toutes les activités et tous les secteurs de la société.
On pourrait certes, abstraitement, imaginer une issue de sortie de crise dans le cadre capitaliste, dont les deux éléments essentiels seraient une véritable rerèglementation de la finance et une progression des salaires assurée une croissance des débouchés couplée à une meilleure satisfaction des besoins sociaux. Mais une telle évolution ne sera pas spontanément acceptée par une les classes dirigeantes ni même par une fraction d’entre elles. Elle ne le sera qu’en dernier recours, face à des mouvements sociaux puissants. Dans cette optique, le programme le plus cohérent dont disposent les bourgeoisies est celui de Sarkozy : une poursuite à marche forcée des contre-réformes néolibérales couplée à un accroissement des mesures répressives contre le mouvement ouvrier.
Face à cela, il est essentiel de tenir les deux fronts de la bataille : des mesures drastiques contre les marchés financiers (des interdictions et pas des limitations) sont inséparables d’une remise en cause radicale du partage actuel entre salaires et profits.
On le voit, dans ce contexte la plupart des luttes « antilibérales » ouvrent une dynamique anticapitaliste : la remise en cause des fondements de l’Europe libérale, (la liberté absolue de mouvements des capitaux, l’indépendance de la Banque centrale européenne, le dumping fiscal, la libéralisation des services publics) doit s’articuler avec des axes de lutte concrets portant sur le partage des revenus et la défense de l’emploi (l’interdiction des licenciements, 300 euros pour tou(te)s d’augmentation des salaires, une vraie réduction du temps de travail, la défense de la protection sociale ….), porteurs des bases d‘une autre logique.
Stéphanie Treillet