Derrières les sourires et les accolades des sommets, la crise intensifie les tensions. L'architecture néolibérale mise en place au niveau mondial et européen s'en trouve fragilisée, appelant un sursaut internationaliste.
Le G20 de Londres était censé démontrer la cohésion des principales économies de la planète ainsi que leur engagement à se coordonner pour apporter des réponses communes à la crise. N'en déplaise à Sarkozy et aux commentateurs hexagonaux qui glosaient sur un sommet historique, il n'en fut rien. Le 3 avril, le Financial Times titrait sans fard: « Large numbers to escape big divisions », de grands chiffres pour masquer de gros désaccords.
Sur le plan financier, aucune mesure commune n’a été mise en place face au risque que représente pour les banques les subprimes et autres titres toxiques. Et pour cause, la solution c'est de nationaliser ! Ce n’est pas le NPA qui le dit, c'est Alan Greenspan, l'ancien président de la réserve fédéral des Etats-Unis. Mais pour l'heure, chaque état préfère laisser les banques empocher les gains éventuels tout en garantissant les pertes. C’est le socialisme pour les riches : nationalisation des pertes, privatisation des profits.
Sur la question des taux de change et du système monétaire international, le G20 n'est pas parvenu à un accord. En effet, à mesure que la crise s'approfondit, la tentation s'accroît pour les grandes économies d'essayer de faire payer la crise aux autres en dévaluant leur monnaie. C'est le levier sur lequel ont joué notamment la Grande-Bretagne et la Suisse. Ce mécanisme permet de soutenir la production nationale : elle est mieux vendue à la fois sur le marché domestique - puisque les importations sont alors plus chères - et à l'étranger - puisque les exportations sont moins chères. Une telle attitude est particulièrement tentante pour les Etats-Unis car elle ferait payer une grande part du prix du sauvetage du système aux pays qui les subventionnent massivement : la Chine, le Japon, les états pétroliers... La Chine s’en inquiète désormais ouvertement, le gouverneur de sa banque centrale se prononçant pour une monnaie de réserve mondiale « déconnectée des conditions économiques et des intérêts d'un seul pays ». C'est donc la place du dollar dans l'économie mondiale qui est en ligne de mire ; une pièce maîtresse du dispositif assurant depuis 1945 le statut de puissance hégémonique des États-Unis.
L'Union Européenne vacille
La fragilité politique de l'Union Européenne éclate au grand jour avec cette crise. Étant donné la prédominance de rapport de compétition entre les pays membres, l'UE a été incapable d'agir aussi vite et aussi fort que les US ou la Chine. Ensuite, avec l'Euro, les pays se sont interdit toute possibilité de réagir par un ajustement des taux de changes aux chocs qu'ils subissent de manière différente. La Grèce, l'Irlande, l'Italie, le Portugal et l'Espagne, particulièrement fragiles, se retrouvent pieds et poings liés. Sachant qu'ils ne pourront pas compter sur des transferts financiers massifs de la part d'autres pays membres, les gouvernements de ces pays devront faire payer un prix terrible à leurs populations en écrasant les salaires et en diminuant les dépenses publiques, ou bien abandonner l'euro au prix d'une crise politique majeure.
Chômage, pauvreté, pour l'instant, ce sont les pays d'Europe centrale qui subissent le plus durement la crise. C'est particulièrement flagrant dans les pays qui, comme la Hongrie, la Tchéquie ou la Roumanie ont confié aux multinationales ouest européennes le contrôle de leur système financier et de larges pans de leur appareil productif. Dans ces pays, les crédits sont le plus souvent libellés en euros, ce qui signifie que la chute de leur monnaie prend les emprunteurs – entreprises mais aussi les consommateurs – à la gorge : les dettes sont devenues brutalement insoutenables alors que les prix des biens importés s'envolent. De plus, l'activité industrielle, qui s'opère essentiellement à travers des réseaux de sous-traitants travaillant pour les firmes occidentales, s'est effondré.
Étant donné l'impotence de l'UE, c'est le FMI qui est à la manœuvre. L'organisation dirigée par Dominique Strauss Kahn renoue avec ses diktats des années 1990 : en mars dernier, elle a ainsi suspendu un versement de 200 millions d'euros à la Lettonie coupable de n'avoir pas suffisamment coupé dans ses budgets ! Mais la population ne l'entend pas de cette oreille : le 2 avril, 10 000 enseignants – une affluence énorme pour ce petit pays de 2,3 millions d'habitants - manifestaient contre des baisses de salaire de 20%. Dans l'ensemble de la région la crise est désormais politique. Depuis février 2009, 4 gouvernements ont chuté, en Lettonie, République Tchèque et Lituanie mais aussi en Hongrie où l'on assiste à une montée brutale des forces fascisantes. Alors que d'ici fin 2010, il devrait y avoir 8,5 millions de chômeurs supplémentaires au sein de de l'UE, les secousses politiques ne vont pas en rester là
Protectionnisme ?
Qu'il s'agisse de l'incapacité du G20 à adopter des mesures de coordination des politiques économiques ou bien de la fragilisation à grande vitesse de l'architecture européenne, la contradiction est la même. En temps normal, la faiblesse des instances supranationales sert au mieux les intérêts capitalistes. Rien ne vient entraver une intégration économique et financière qui met en concurrence les travailleurs et les systèmes fiscaux. Mais en temps de crise, les oppositions entre capitalistes s'aiguisent et une partie des classes dirigeantes pourrait faire le choix d'attiser les égoïsmes nationaux pour mieux faire la peau aux capitaux des pays concurrents. Il n'y a ainsi rien d'étonnant à ce que l'Organisation Mondiale du Commerce soit aujourd'hui au point mort : plus aucun pays n'est prêt à s'ouvrir d'avantage aux produits importés alors même qu'il voit ses exportations s'effondrer.
De larges pans de la gauche antilibérale poussent pour mettre en place des mesures protectionnistes. Le frein imposé à la concurrence internationale permettrait d'améliorer le rapport de force du travail vis à vis du capital et redonner une certaine efficacité à la politique économique au niveau national.
Bien sûr, il convient de refuser la logique hyper compétitive du libre échange : contre la mise en concurrence des systèmes sociaux, il faut des règles négociées organisant des relations économiques solidaires entre les peuples. Mais le plus probable, aujourd'hui, est plutôt que les mesures protectionnistes alimentent une logique d'affrontement brutal entre blocs commerciaux. Le risque d'une montée des idées nationalistes et xénophobes n'est dès lors pas négligeable : les autres, les étrangers, ne seront-ils pas aisément désignés comme la cause de la crise, boucs émissaires pratiques pour faire écran aux classes dominantes ? En bref, dans les pays riches, le protectionnisme ne peut être un outil progressiste que s'il participe à la défense d'une expérience de transformation sociale radicale ayant vocation à s'étendre à travers des liens de solidarité internationalistes.
Pour construire des éléments de résistance et d'alternative à la crise globale du capitalisme, les liens tissés à l'échelle internationale sont essentiels. C'est ce qu'ont montré les salariés de Continental le 23 avril dernier : contre les licenciements, 3000 travailleurs allemands et français (et même quelques mexicains !), ont manifesté côte à côte à Hanovre. Se serrer ainsi les coudes par delà les frontières est indispensable pour contrer des multinationales qui n'hésitent pas à s'appuyer sur l'exploitation des uns pour casser la grève des autres.
Il est aussi essentiel de s'appuyer sur les acquis du mouvement altermondialiste. Les manifestations lors du dernier G20 de Londres et du sommet de l'Otan à Strasbourg mais aussi les échanges à l'occasion du forum social mondial de Belem sont des réponses à la crise globale du capitalisme.
Ce front des mouvements sociaux et des forces anticapitalistes pour dénoncer les politiques des puissants et formuler des exigences partagées à l'échelle internationale doit rebondir et s'amplifier lors du G20 de New-York en septembre et, plus encore, pour le sommet consacré au changement climatique en décembre à Copenhague.
Cédric Durand et Hugo Harari-Kermadec