Les médias ont l’habitude de parler de la plus grande crise depuis celle de 1929. Au-delà des ressemblances et des différences, il s’agit surtout, une fois de plus, d’une crise du système capitaliste.
Pouvons-nous comparer la crise de 1929 et l’actuelle ? Sur certains points, s’agissant des Etats-Unis, elles se tiennent proches l’une de l’autre. A chaque fois, une bulle se situe sur la ligne de départ ; à chaque fois la crise bancaire guide la déflagration ; à chaque fois le surendettement des ménages alimente la dépression. Des précisions s’imposent pourtant. La bulle était boursière en 1929, immobilière aujourd’hui ; elle n’a pas déclenché la crise en 1929 (même si elle l’a aggravée), elle a été au cœur de la récession actuelle. En ce qui concerne la crise bancaire, elle s’est manifestée lors de la grande crise du XXe siècle par de très nombreuses fermetures d’établissements, alors qu’actuellement (le sauvetage sur fonds publics aidant) il s’agit plutôt de la paralysie de l’appareil bancaire dans sa fonction de distribution de crédits. Enfin, le surendettement des ménages découle aujourd’hui de la construction résidentielle ; en 1929, il était lié au crédit à la consommation et à la spéculation boursière.
D’ailleurs, on voit poindre dans le déroulement de la crise actuelle certains des traits marquants de la grande dépression des années trente. Qu’il s’agisse de la déflation générale des prix (péril extrême), des dépréciations compétitives de monnaies nationales (pour placer ses marchandises sur les marchés étrangers aux dépens des concurrents) ou encore des capitaux fuyant en masse des pays de la périphérie (comme c’est le cas aujourd’hui pour l’Europe de l’Est). Plus fondamentalement, il n’est pas étonnant que nous retrouvions, pour la crise de 1929 ou pour l’actuelle, ce qui fait l’enjeu des crises majeures : une organisation du monde. Celle de 1929 avait, nous l’avons vu, des origines lointaines, celles d’une double émergence, américaine et européenne. Pour la crise actuelle, l’enjeu de la nouvelle organisation du monde est à rechercher, non au point de départ, mais à l’arrivée. En effet, le modèle qui, à partir des années 1980, a succédé à la régulation fordiste aux Etats-Unis repose sur un pacte conflictuel entre capitalistes et zones émergentes de la mondialisation (Chine, etc.). Une bonne part de la question posée par la crise actuelle est de savoir si, au bout du compte, ce pacte aura été brisé ou s’il aura simplement été reconduit sous une nouvelle forme (celle, par exemple, des G20).
Sur d’autres points pourtant les deux crises se tiennent éloignées l’une de l’autre. Le système de l’étalon-or était, sous des formes diverses, universellement présent en 1929, rien de tel aujourd’hui. La grande crise était une ellipse à double foyer, américain et européen, alors que celle d’aujourd’hui irradie surtout à partir de son centre de gravité américain. Le poids des allocations dans le revenu des ménages ou celui des dépenses publiques dans le PIB atteignent aujourd’hui des niveaux sans précédent, et peuvent jouer le rôle de stabilisateurs de l’activité, ce qui n’était pas le cas en 1929. Cela peut-il suffire à rassurer ? Pas sûr, car, sur bien des points, le système capitaliste s’est profondément modifié, aggravant l’instabilité foncière qui est la sienne. La mondialisation actuelle est celle d’un salariat universel, la petite production ne vient plus y freiner les récessions naissantes alors que licenciements et chute de la consommation se répondent en une spirale sans fin. Cette mondialisation couvre toute la planète, enrôle des continents entiers restés jusque-là à l’écart, chaque pays rajoutant ses propres fragilités pour faire un peu plus bouillir l’immense marmite. L’espace économique est couvert d’un réseau dense et serré et la rapidité avec laquelle cette interconnexion a transmis au monde entier les chocs de la crise actuelle en a laissé plus d’un pantois.
D’ailleurs, comparer les grandes crises des XXe et XXIe siècles n’implique pas que la seconde en vienne nécessairement à reproduire la première. Tout événement historique est unique, et ainsi en est-il de la crise de 1929. Ce que la grande dépression a d’abord montré, c’est de quoi le système capitaliste est capable, s’il est laissé à lui-même. La grande crise ne peut recommencer, mais une grande crise le peut. N’est-ce pas la même mécanique que nous trouvons au cœur de toutes les crises, une mécanique où le caractère de plus en plus social de la production entre en contradiction avec la forme étriquée d’une propriété privée maintenue ? Soit encore un engrenage où chaque acteur économique prend la décision qu’il estime rationnelle pour la défense de son intérêt privé et compromet ce faisant un équilibre général qui ne pourrait résulter que d’une coopération universelle. Derrière chaque crise, se cache le système qui la produit : le capitalisme.