La République d'Irlande est avec le Portugal l'autre pays dans lequel les élections européennes - ainsi que les élections locales qui se déroulaient le même jour, 5 mai - ont marqué une indéniable et significative poussée à gauche.
Le scrutin européen a vu une forte baisse (de 29,5 à 24,1 % des voix) du parti au pouvoir, Fianna Fail, la formation bourgeoise traditionnelle qui domine la vie politique du pays et était accoutumée à recevoir les suffrages d'une majorité des travailleurs. Cette chute s'est doublée d'un effondrement de son allié au gouvernement, le parti des… Verts, qui se retrouve réduit à un misérable 1,9 %.
Ce vote sanction a bénéficié en partie à l'opposition de droite, incarnée dans le Fine Gael, en tête avec 29 % des suffrages, et du côté souverainiste dans Libertas (5,9 %). Mais la plus forte progression parmi les partis institutionnels a été celle du Labour, le parti travailliste. Avec un score national de 13,9 %, (+ 3,4 %), il passe de 1 à 3 sièges (sur les 12 attribués à l'Irlande) et devient le premier parti à Dublin. Contrairement à leurs acolytes britanniques, les travaillistes irlandais ne sont pas au pouvoir et ont opéré récemment - dans leurs discours - un assez net virage à gauche. Les nationalistes de gauche du Sinn Fein sont quant à eux restés stables, à un peu plus de 11 %.
La percée de la gauche radicale
Mais la véritable sensation est venue de l'élection, dans la circonscription de Dublin qui délivrait trois sièges d'eurodéputés, du représentant du Socialist Party (SP, trotskyste), Joe Higgins. Député au parlement national de 1997 à 2007, Higgins est une figure très populaire et reconnue pour ses prises de position et son action en soutien aux luttes et revendications des travailleurs. Dans un scrutin à la proportionnelle complexe, avec des votes de « premier choix » et de « second choix », il a obtenu 12,4 % en premier choix puis battu sur le fil le dirigeant et ancien ministre du Fianna Fail, Eoin Ryan, grâce à un report de voix important venant des électeurs de la députée européenne sortante - et battue - du Sinn Fein.
A cela s'ajoute la percée réalisée par la gauche radicale dans les élections locales. Dans un type de scrutin (de circonscription, uninominal à un seul tour, le candidat arrivé en tête étant élu) qui est toujours très difficile pour des formations minoritaires, le SP a obtenu cinq postes de conseillers1, de même que l'alliance « People Before Profit » (« les gens plutôt que les profits ») qui est animée par une autre organisation trotskyste, le Socialist Workers Party. D'autres candidats de gauche radicale ont par ailleurs été élus, notamment ceux de l'association Workers and Unemployed Action Group (Groupe d'action des travailleurs et des chômeurs) dans la ville de Clonmel.
Ce résultat s'explique bien sûr dans le contexte de la crise, qui frappe très durement l'Irlande (un des pays les plus touchés au sein de l'Union européenne), mais aussi et surtout dans celui de la montée des résistances. On se rappelle la victoire populaire du 12 juin 2008 contre la ratification du Traité de Lisbonne, à laquelle la gauche radicale avait contribué de façon importante - quand tous les grands partis à l'exception du Sinn Fein soutenaient le « oui ». Plus récemment, 120 000 personnes ont défilé le 30 mars 2009 à Dublin, en protestation contre la politique du gouvernement et du patronat, lors de ce qui a été la plus grande manifestation dans le pays depuis trente ans.
Il semble donc bien que la gauche radicale irlandaise ait devant elle d'importantes possibilités de développement. Sera-t-elle en mesure de les utiliser pleinement et saura-t-elle aussi, pour cela, faire des pas vers un regroupement de ses forces ? C'est en tout cas ce que nous lui souhaitons.
Jean-Philippe Divès