Entre le 21 juillet 1857, date de la création du premier bataillon de «tirailleurs» sénégalais par Napoléon III et le 8 mai 1945, les troupes coloniales vont participer aux deux guerres les plus meurtrières du XXème siècle. Bien que l’ordonnance du 21 juillet 1845 crée le 6ème escadron du 1er régiment de tirailleurs algériens mis à la disposition du Sénégal, c’est seulement à partir de 1854 que la France change complètement sa vision et se dote d’une véritable politique coloniale qui aboutit à la mise sur pied d’une force noire régulière avec le décret impérial de 1857. Cette «force noire» va permettre à la France de soumettre une grande partie de l’Afrique de l’ouest et de l’Afrique centrale.
Pendant la Grande guerre, 94 bataillons d’Africains de l’ouest comprenant 161250 tirailleurs sénégalais soit 3% des cinq millions de citoyens français sous uniformes, participent à la guerre (1). Le 3 septembre 1939, lorsque la France déclare la guerre à l’Allemagne, elle fait de nouveau appel à sa «force noire» (2). La bataille de France (10 mai 1940-22 juin 1940) va être rude pour ces hommes venus du sud et beaucoup d’entre eux ne retourneront jamais en terre africaine. Ils seront enterrés en France, loin des leurs. C’est le cas des tirailleurs du 25ème RTS qui combattirent avec acharnement en juin 1940 dans la région lyonnaise contre les troupes allemandes en direction du front des Alpes. Les représailles des soldats allemands furent terribles pour les soldats noirs du 25ème RTS, victimes de la propagande nazie haineuse contre les soldats noirs de l’armée française. Les exécutions sommaires (3) des militaires noirs du 25ème RTS dans l’agglomération lyonnaise les 19 et 20 juin 1940 vont contribuer à l’image de monstres sanguinaires qui composaient les troupes allemandes. En effet elles ont été faites non seulement par les SS (la panzer division SS TotenKopf, «Tête de mort») mais aussi par l’armée régulière (Panzer grenadier division GrossDeutchland). Pendant ces deux jours de ce qu’on peut qualifier de «crimes de guerre», 165 tirailleurs indigènes sont exécutés sans aucune forme de procès. Les tirailleurs noirs sont extirpés des colonnes de prisonniers avant d’être abattus. D’autres sont écrasés sous les chenilles d’un char.
Un homme, Jean Marchiani, l’initiateur du projet de «tata» sénégalais (4) de Chasselay, avait choisi cet intérêt historique de Mémoire puisque dès 1940, il entendait faire de cette nécropole «un lieu de souvenir des crimes allemands commis au non de l’idéologie nazie» (5). Quelques mois après le massacre, il mit sur pied ce projet (sur fonds privés) d’un tata afin d’y enterrer tous les tirailleurs morts dans la région lors des massacres des troupes allemandes. Ils seront 188 à être regroupés ensemble dans «cet enceinte de terre sacrée». Du sable provenant d’Afrique fut répandu sur les tombes lors de l’inauguration. Le visiteur du village de Chasselay est interpellé par cette architecture atypique sur les terres de France, cette présence africaine. Aujourd’hui, le tata est un témoignage vivant – bien que rempli de morts – de la participation d’Africains à cette guerre européenne qu’ils ont payée de leur vie.
D’autres tirailleurs sénégalais payeront aussi de leur vie une mutinerie en décembre 1944 à leur retour de guerre. Cette fois-ci, ce sont les Français qui tirèrent sur leurs propres hommes. Le 30 novembre 1944, plusieurs tirailleurs sénégalais se mutinent au camp de Thiaroye du Sénégal et prennent en otage le Général Danian qui leur refuse le paiement de leurs arriérés de solde (6). Le lendemain, après qu’ils aient libéré le Général, ils sont massacrés par l’armée française. Trente-cinq d’entre eux sont tués et autant sont blessés, aux portes de leurs villages, après avoir souffert sur les fronts d’Europe et subi plusieurs années de captivité. Ils sont enterrés au cimetière de Thiaroye (banlieue dakaroise) (7).
Les massacres du camp de Thiaroye (1er décembre 1944) sont au même titre que ceux de Chasselay (19 et 20 juin 1940) des crimes de guerre contre des soldats «noirs» parce qu’ils étaient noirs. En ces temps de débat sur l’identité nationale, c’est de bonne guerre de le rappeler.
Moulzo
(1) Marc Michel, L’appel à l’Afrique.
(2) «La Force noire» écrit en 1910 est le titre du livre du Général Charles Mangin instigateur de l’idée de création d’une armée composée d’Africains noirs.
(3) Notons aussi l’exécution du capitaine Charles N’Tchoréré qui obtient à partir lors de la Seconde Guerre mondiale à la tête d’un bataillon de volontaires gabonais. Le 7 juin 1940, il est exécuté d’une balle dans la tête par un officier allemand qui ne pouvait supporter que C. N’Tchoréré réclame d’être traité en officier.
(4) Tata signifie « enceinte de terre sacrée»
(5) Julien Fargettas, Le massacre des tirailleurs sénégalais du 25ème RTS- région lyonnaise-19 et 20 juin 1940.
(6) Celles-ci sont accordées pourtant aux métropolitains.
(7) Le réalisateur Sembène Ousmane en a fait un film en 1988 intitulé «Thiaroye 44».