En confiant au marché la réduction des émissions de gaz à effet de serre, le protocole de Kyoto permet aux entreprises des pays industrialisés de continuer à polluer au détriment des pays du Sud, tout en faisant peser les surcoûts sur les consommateurs. Pour être efficace, il faudrait s’appuyer sur des règlements contraignants et sur les services publics.
Le protocole de Kyoto a institué un marché des droits à polluer devenu effectif en janvier 2005. Son principe est le suivant : les États et les entreprises se voient attribuer un quota d’émissions exprimé en « équivalent CO2 ». Ces attributions sont censées diminuer au fur à mesure des années. Les entreprises qui réduisent leurs émissions de gaz à effet de serre au-delà de leur quota, peuvent vendre leurs excédents. Les entreprises qui vont dépasser leur quota peuvent acheter des droits à polluer. Le marché, basé sur l’offre et la demande, est censé déterminer un prix des émissions de gaz à effet de serre qui inciterait les entreprises à modifier leurs procédés de manière à baisser leurs émissions plutôt que d’acheter des droits à polluer.
Ces règles ne concernent pas les États-Unis, qui n’ont pas signé le protocole de Kyoto. Les pays pauvres et émergents (Chine, Inde, Brésil, Corée…), compte tenu de leur retard de développement et des émissions effectuées par les pays développés lors de leur industrialisation, ne sont pas non plus soumis à des quotas. Ainsi, des entreprises polluantes peuvent échapper à ces nouvelles contraintes en délocalisant leur production vers ces pays. Dans le même temps, selon un mécanisme appelé MDP (mécanisme de développement propre), les multinationales qui diminuent leurs émissions dans un pays en développement acquièrent des droits à polluer qu’elles peuvent revendre dans les pays soumis aux quotas. Elles peuvent donc polluer plus en délocalisant dans un pays sans être pénalisées et en même temps gagner des crédits d’émission dans un autre pays. Le mécanisme MDP est abusivement défini dans le protocole de Kyoto comme une aide apportée aux pays pauvres en vue d’un développement propre.
Le système de Mise en œuvre conjointe (MOC) fonctionne comme le MDP mais concerne les rapports entre pays soumis au protocole de Kyoto. Ainsi, une entreprise allemande qui réduit ses émissions en Russie peut récupérer des droits à polluer et les revendre. En effet, la Russie a atteint ses objectifs de réduction d’émissions de CO2 à un niveau en deçà de 1990, du fait de l’effondrement de son économie dans les années 1990, et n’est plus intéressée par des quotas d’équivalent carbone.
Les dysfonctionnements du marché des droits d’émission
Les quotas et le commerce des droits d’émissions de CO2 fonde un système incertain dans ses objectifs.
On ne peut pas faire la part de la croissance économique dans la réalisation des objectifs. Bien que la Russie ait pu tenir ses objectifs par rapport à 1990, elle a continué dans le même temps à utiliser du charbon et du pétrole pour la production électrique et pour le chauffage urbain, dans des installations vétustes au rendement médiocre. De même, la crise de 2008-2009 a réduit l’activité industrielle au niveau mondial et donc les émissions de GES, alors que de nombreux investissements destinés à les faire diminuer étaient différés.
De plus, certains changements de procédés sans rapport avec la volonté de moins polluer entraînent moins d’émissions et produisent des effets d’aubaine.
Il est très vulnérable face au lobbying
Le chantage aux délocalisations a permis à l’industrie sidérurgique d’obtenir des quotas généreux, au point qu’une entreprise comme Arcelor-Mittal qui a augmenté ses émissions de 7 % entre 2005 et 2009 dispose à ce jour d’un excédent de 1,2 milliard d’euros de droits à polluer. Ces attributions en faveur de certaines multinationales puissantes se font au détriment de secteurs économiques moins influents ou impossibles à délocaliser. En Europe, le lobbying efficace de l’industrie chimique, sidérurgique ou cimentière a eu pour conséquence de reporter les quotas de réduction des émissions sur les producteurs d’électricité. En Italie, par exemple, ces derniers achètent au prix fort des permis d’émission et reportent leur coût sur les consommateurs. Ceux-ci, qui n’ont aucun pouvoir sur les manières de produire et bien peu sur la qualité thermique de leur habitat risquent de supporter deux fois des surcoûts : par le renchérissement de la fourniture électrique, puis par la taxe carbone.
Il a des effets politiques pervers
Une grande manifestation appelée par les syndicats de métallurgistes de la Confédération européenne des syndicats (CES) a rassemblé 11 000 salariés européens qui revendiquaient un assouplissement des obligations écologiques de leurs patrons pour éviter les délocalisations « et sauver les emplois ». (journal belge Le Soir, 3 décembre 2008). Que la CES aille se vautrer à ce point dans la collaboration de classes est un problème en soi. Mais nous devons aussi prendre au sérieux le risque d’une réaction anti-écologique au sein du mouvement ouvrier et dans la population, réaction favorisée par des mesures « écologiques » aux effets sociaux désastreux. La taxe carbone, qui risque d’être généralisée à la suite du sommet de Copenhague, présente elle aussi un danger du même type : favoriser des coalitions douteuses, entraînant des mouvements populaires sur des bases réactionnaires et anti-écologistes.
Défendre des alternatives à la marchandisation du climat
La taxe carbone et le marché des droits à polluer sont inefficaces et injustes. Le patronat essaie par ces procédés d’ouvrir de nouveaux espaces d’accumulation, de faire financer la transition industrielle (pour autant qu’il soit capable de la réaliser) par les travailleurs et les catégories populaires. Les patrons ont probablement en ligne de mire une taxe carbone qui financerait le capitalisme « vert » et un nouvel espace d’accumulation ouvert par la marchandisation de l’air.
Nous devrons opposer à ce projet des lois, des règlements, des taxes patronales et des services publics.
Les émissions de polluants qui risquent d’atteindre les fleuves sont soumises à des lois et des réglementations. Elles sont contrôlées par des organismes spécialisés et les équipements doivent être agréés. De même, les machines dangereuses sont règlementées et contrôlées, le non-respect des règlements peut être durement sanctionné en cas d’accident. Si on appliquait le principe des droits à polluer à ces domaines, cela reviendrait à accorder un droit à tuer jusqu’à 500 tonnes de poissons et tout industriel qui n’atteindrait pas son quota pourrait vendre le surplus sur le marché. On peut aussi imaginer un droit à broyer dix travailleurs par an dans des presses mal équipées et la vente des excédents non broyés aux industriels moins performants...
Les réglementations ont fait la preuve d’une certaine efficacité pour faire baisser le nombre d’accidents du travail ou la pollution fluviale, et si elles sont insuffisantes ou inefficaces, elles peuvent être rectifiées au terme d’une délibération publique ou d’une bataille politique. Défendre la réglementation plutôt que le marché, c’est aussi remettre la politique au centre des décisions au lieu de donner un chèque en blanc au patronat et court-circuiter toute possibilité d’action à travers les institutions élues.
Les services publics sont la clé de la maîtrise collective. La recherche sur des procédés industriels moins polluants doit-elle être confiée à l’industrie automobile, chimique ou pétrolière ? C’est ce qu’il se passe avec les pôles de compétitivité (Pôle Axelera dans la région lyonnaise) ! Pourtant, il existe (il existait ?) un outil potentiellement indépendant du patronat : la recherche publique et le CNRS.
On prétend limiter la circulation automobile par des taxes sur l’essence. Outre que ce n’est pas très cohérent avec l’obligation faite aux chômeurs d’accepter un travail jusqu’à 40 km de leur domicile, ce n’est pas très efficace vis-à-vis de ceux et celles qui n’ont pas le choix de leur lieu d’habitation ni de leur lieu de travail. En revanche, des transports de proximité gratuits en zone urbaine et rurale, une baisse des tarifs SNCF peuvent combiner efficacement mesures sociales et efficacité écologique. L’écologie ne serait plus le repoussoir qu’elle risque de devenir avec la taxe carbone. Pour de telles mesures, il faut sortir les transports de la logique du profit. Nous en sommes loin quand nous voyons que la SNCF se désengage du transport de marchandises pour investir dans le transport routier.
L’échéance de Copenhague peut être l’occasion d’orienter la lutte écologique vers des objectifs concrets combinant la dénonciation des profiteurs et des irresponsables avec des revendications en positif comme les transports de proximité gratuits ou un service public de recherche pour des technologies moins polluantes. Le refus de la taxe carbone devra être associé à l’exigence de rénovation du logement collectif et au refus des délocalisations industrielles, etc.
Alors, nous avons des objectifs de mobilisation tout trouvés : les préfectures pour la taxe carbone, les multinationales qui profitent du système comme Arcelor-Mittal, Rhodia ou la Société Générale, les entreprises de transports comme la SNCF ou les sociétés de transport urbain, les entreprises qui délocalisent et font faire le tour du monde à leur production, le système de production « juste à temps » qui met les stocks sur les autoroutes et aggrave la flexibilité du travail. Chacun de ces objectifs pourra combiner l’écologique et le social. Le marché des droits à polluer d’une part, la taxe carbone de l’autre peuvent être les scandales par lesquels la révolte arrive et la mobilisation se construit.