Cette contribution est une réaction à un article publié dans l’hebdo Tout est à nous ! surl’incident intervenu lors du démantèlement d’un atelier de la centrale de Cadarache.
Dans Tout est à nous ! du 22 octobre est paru un article intitulé Scandale à Cadarache sur la découverte d’un excès de plutonium dans un atelier en démantèlement, l’atelier de technologie du plutonium (ATPu). L’article conclut que l’incident plaide pour l’abandon du nucléaire. À notre avis la question nécessite une analyse plus fine.
D’abord, sur l’incident en question. L’ATPu consistait en 450 « boîtes à gants utilisées pendant 39 ans ». Il s’agit de réceptacles étanches permettant aux travailleurs de manipuler la matière radioactive sans y toucher. Tout ce qui tombe pendant les manipulations y reste confiné. Lors de la mise en service de la centrale, le CEA a estimé qu’environ 8 kg de plutonium (Pu) resteraient dans ces boîtes, suite aux traitements. Or, on estime aujourd’hui à 39 kg la masse de Pu, soit cinq fois plus. Cela peut sembler beaucoup, mais rapporté au nombre de boîtes cela fait 1 gramme par boîte et par an.
Le risque d’une explosion nucléaire est réel quand une certaine masse radioactive se trouve compactée (risque de criticité), plutôt que dispersée. Il serait pratiquement impossible de rassembler aujourd’hui ces 39 kg de Pu pour en faire une bombe. Et qu’aurait-on dit si la quantité réelle de plutonium dans ces boîtes avait été inférieure à celle estimée ? Qu’il y avait un trafic de plutonium responsable de la perte de la matière radioactive ?
Contrôle des salariés
Le scandale, car il y en a effectivement un, est ailleurs. Le CEA a déclaré l’incident (c’est-à-dire le constat de l’excès par rapport aux prévisions initiales à la suite de l’analyse des premières boîtes démantelées) en juin par téléphone à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), avant une visite par les inspecteurs du nucléaire européens, l’Euratom. Le CEA a estimé la gravité de niveau 1, le moins grave, sur 7. La déclaration officielle n’a été faite que quatre mois plus tard en octobre ! L’ASN a réévalué l’échelle de gravité à 2 et a fait arrêter temporairement, le chantier de démantèlement. Les communiqués internes du CEA continuent d’affirmer que tout a été fait dans les règles. Cette arrogance est révélatrice d’un certain mépris vis-à-vis des travailleurs du secteur nucléaire (statutaires et contractuels) et de la population dans son ensemble.
Les retards, la sous-estimation systématique de la gravité des incidents, le manque de communication, la persistance dans l’attitude « faites-nous confiance, nous sommes les experts » ne sont pas acceptables.
Les premières revendications concrètes du NPA doivent être celle d’un statut unique et public pour les travailleurs du nucléaire et l’exclusion de tout intérêt privé de l’industrie. L’industrie nucléaire doit être sous contrôle public, non pas comme elle l’est actuellement, mais un vrai contrôle par en bas, par ceux qui connaissent le mieux le métier, les travailleurs du secteur nucléaire. Ils doivent disposer d’un droit de veto et être informés de toute décision politique ou technique dans le domaine. Aucun document ne doit être secret.
Comment sortir du nucléaire ?
Les revendications suivantes devraient aborder la question des déchets et celle de la recherche dans les énergies alternatives. Comme pour les banques et les entreprises, c’est l’ouverture des livres de comptes qui est nécessaire. En France on ne sait pas combien d’argent a été réellement investi dans la recherche nucléaire. Les chiffres publics sont des estimations. En revanche, on peut être sûr que ne serait-ce qu’une fraction de cette somme pourrait, sur une échelle de dix à vingt ans, dégager quelques solutions partielles de rechange au nucléaire.
Enfin, au-delà du lien existant encore aujourd’hui entre énergie nucléaire et armes nucléaires (qu’il conviendrait aussi d’analyser plus en détail), il y a le débat entre la position contre le nucléaire tout court ou celle contre le nucléaire sous le capitalisme.
La question est importante, car sortir du nucléaire immédiatement (avant une révolution socialiste) impliquerait d’adopter d’autres solutions énergétiques dans le cadre du capitalisme. Mais, par exemple, c’est la demande en silicium – matière première de l’industrie microélectronique actuelle – qui conditionne le développement de l’industrie photovoltaïque. Il est toujours possible de l’envisager, mais il faudrait être un tantinet moins naïfs dans nos déclarations sur ces énergies comme solutions positives sous le capitalisme.
Le débat est en réalité loin d’être tranché. D’une part, le fait même de le poser implique de raisonner en termes de risques. De l’autre, le refus du nucléaire tout court revient à dire que tout risque nucléaire est inacceptable (et par extension tout risque associé à d’autres productions d’énergie).
Quelle que soit la position prise, on voit que le statut public du secteur, le contrôle public, en premier lieu par les travailleurs du nucléaire et l’ouverture des livres de comptes devraient quand même être les premières revendications concrètes avancées afin de montrer soit une voie crédible vers la sortie du nucléaire, soit comment l’utiliser en toute sécurité. Dans tous les cas, ces perspectives devront être élaborées avec, et non pas contre, ceux qui seraient capable de l’assurer.
Scandale à Cadarache conclut « La sortie du nucléaire est plus que jamais à mettre à l’ordre du jour avant que le pire n’arrive ». Il faudrait au moins autant de temps pour démanteler les centrales que leur durée de fonctionnement, soit quelques décennies. Dans le cadre du système capitaliste, sans satisfaction des revendications immédiates développées ci-dessus, sortir du nucléaire tout comme y rester, pourrait effectivement mener au pire et il n’est pas raisonnable de raconter le contraire.