Lutter pour préserver les emplois tout en prenant les mesures indispensables pour l’environnement nécessite de sortir de la logique de la mondialisation capitaliste. Une reconversion des outils de production de l’industrie automobile doit être opérée sous contrôle des travailleurs et des populations, pour la satisfaction des besoins sociaux.
La crise qui frappe aujourd’hui l’industrie automobile vient de loin. Elle concentre les effets de la crise économique et de la crise écologique dont les causes sont clairement identifiables dans le fonctionnement d’une économie capitaliste fondée sur la recherche du profit au détriment de la satisfaction des besoins du plus grand nombre.
La crise écologique a déjà des conséquences sur l’industrie automobile et son économie tout entière tournée vers la maximisation des profits. Dans les années qui viennent, un milliard de véhicules tous types confondus seront en circulation dans le monde entier. Cette situation coïncide avec la fin du pétrole comme ressource abondante et facilement exploitable, ce qui entraînera une spéculation financière croissante. Dans le même temps, les contraintes anti-pollution, qui ne règlent en rien les problèmes causés par les émanations carbonées et de particules fines des moteurs essence et diesel, renchérissent le prix des voitures neuves. Sans parler des conséquences d’une société du « tout bagnole » qui consacre l’individualisation, l’allongement des distances entre services, travail et domicile, et accroît la consommation de terres disponibles.
Crise de surproduction
La mondialisation capitaliste de l’industrie automobile est devenue l’espace dans lequel se déploie la stratégie de quelques firmes qui se croyaient les « maîtres du monde ». Depuis une vingtaine d’années les ventes d’automobiles neuves stagnent en Europe de l’Ouest, en Amérique du Nord et au Japon. Mais en trente-cinq ans, la production mondiale de voitures a doublé (33 millions en 1975 contre 73 millions en 2007), car d’autres continents prennent le relais des pays les plus anciennement industrialisés. La concurrence entre capitalistes fait rage et chacun espère produire et réaliser plus de profits que le concurrent : la conséquence en est une surproduction par rapport à ce qui peut être vendu à des acheteurs en majorité salariés et soumis à une austérité généralisée.
Cette crise de surproduction trouve ses racines dans le fonctionnement même d’une industrie capitaliste mondialisée et il est impossible de prétendre la résoudre en restant soumis aux contraintes de la concurrence et de la rentabilité capitaliste. Il en va de même avec les conséquences écologiques dramatiques de l’usage intensif des transports à moteur essence ou diesel : elles trouvent leurs racines dans le mode de production actuel et ne peuvent être résolues sans s’affranchir de cette course au profit.
C’est dans ce contexte que la crise financière a précipité une chute de la production d’automobiles d’abord aux États-Unis et ensuite, de façon contrastée selon les pays, en Europe et au Japon. Cette chute de la production a été bien supérieure à celles ventes, car dès le signal de la crise donnée à l’été 2008, la préservation de la rentabilité financière a primé sur tout le reste et entraîné une baisse des stocks. Pour Renault, cela représente pour les douze derniers mois, 200 000 voitures non produites par le seul effet « diminution du stock », avec à la clé, chômage partiel, licenciements et perte de commandes pour les sous-traitants.
Les effets de la crise ont été encore amplifiés par la transformation de l’organisation de la production réalisée dans les années 1990. La production de voitures est aujourd’hui physiquement dispersée entre les grands groupes, Renault et PSA pour la France, et une constellation d’équipementiers et de sous-traitants. Plus de la moitié de la valeur d’une voiture est aujourd’hui produite à l’extérieur des usines des grandes firmes automobiles. Sous la coupe de leurs « donneurs d’ordre », les sous-traitants et équipementiers sont des entreprises où il est plus facile pour le patronat de licencier, de fermer des usines ou de délocaliser vers d’autres zones géographiques. L’enjeu patronal est de taille : casser les collectifs de travail et la capacité de résistance qui peut mieux s’affirmer dans les grandes concentrations ouvrières. C’est pourquoi l’actualité sociale, de l’automne 2008 jusqu’à maintenant, a été polarisée par les luttes qui se sont développées dans des dizaines d’entreprises automobiles parmi lesquelles Continental, New Fabris ou Molex, Ford, SBFM, etc.
Sauver les emplois et le climat
Prendre le parti de ces luttes pour la défense de l’emploi, contre les licenciements et la précarité, c’est reprendre pied face à la machine à broyer de l’économie capitaliste actuellement en crise. C’est amener à contester la propriété privée des moyens de production en ouvrant la perspective d’une conversion de ces outils de production, sous contrôle démocratique des salariés et de la population, pour la satisfaction des besoins sociaux dans le respect des équilibres environnementaux. L’emploi et le savoir-faire de millions de travailleurs doivent être défendus avec autant d’intransigeance qu’un environnement vivable pour les habitants de la planète et la satisfaction de leur besoins. Et les travailleurs sont les premiers à supporter les nuisances de la production capitaliste qui détruisent leur santé. Déjà, cette réflexion est portée par des collectifs ouvriers de l’automobile ; à cet égard, la démarche de syndicalistes de Volvo Cars autour du slogan « sauvons nos emplois et le climat » doit être largement popularisée et expliquée.
À l’heure où sous couvert « d’écologie », ce sont les plus pauvres qui sont attaqués – par exemple via la taxe carbone –, la seule position tenable socialement et écologiquement est de combattre dans un « tous ensemble » le capitalisme sur ces deux fronts. C’est également ce que les anticapitalistes doivent défendre dans le cadre des mobilisations actuelles pour le climat et la justice sociale, à quelques semaines du sommet des Nations unies à Copenhague.
Jean-Claude Bernard et Laurence Lyonnais
* Cette contribution s’inscrit dans la continuité d’un atelier qui s’est déroulé à l’université d’été du NPA, à partir d’analyses croisées de camarades impliqués dans la branche automobile et dans la commission nationale écologie du NPA.