Le séisme qui vient de frapper les Haïtiens a mis en relief l’actualité du dernier livre de Dany Laferrière, L’Énigme du retour. Pour l’écrivain, présent à Port-au-Prince lors des premières secousses, tout espoir est à attendre de la culture haïtienne. Le terme de « roman » imprimé sur la couverture a aidé à faire connaître ce livre, le prix Médicis 2009 aussi, et il faut s’en réjouir. Mais il n’y a rien de moins romanesque que le décor et le fond de ce récit, l’enfoncement toujours plus profond dans la misère et la violence des Haïtiens, peuple pourtant surgi d’une des luttes d’émancipation les plus nobles de l’Histoire. Essai « littéraire » et poétique dans l’esprit de Césaire, ou tableau des effets d’un néo-colonialisme si acharné contre les descendants des esclaves révoltés qu’il les pousse à s’entretuer ou les massacre indistinctement sous couvert d’opérations « policières » internationales1? L’un et l’autre, et c’est même ce qui rend ce livre tout à fait prenant. Journaliste, syndicaliste révolutionnaire, un temps maire de Port-au-Prince, le père de l’auteur s’opposa si fermement à Duvalier père qu’il fut contraint de s’exiler dès 1959, pour des décennies de vie obscure et miséreuse à New York. Devenu journaliste lui aussi, Dany Laferrière dut à son tour fuir Haïti sous la menace des « tontons macoutes » de Duvalier fils, en 1976. À Montréal, ses écrits parfois retentissants (Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer, en 1985, est le plus célèbre) finirent par lui assurer une vie décente, selon les critères nord-américains. À l’annonce de la mort de son père, qui avait toujours refusé de le revoir, il s’est senti tenu de porter la nouvelle à sa mère restée en Haïti, et a dû constater l’immonde dégradation de ce pays où l’on apprécie l’élégance, la culture, le beau parler et le beau geste avant tout. Témoignage si personnel dans son phrasé et son sens des « choses vues » qu’il dépasse en émotion les meilleurs reportages, ce livre ne se résume pas, mais constitue certainement une des meilleures introductions publiées récemment sur les malheurs présents d’Haïti, une des plus élégantes aussi. Brouillant certaines pistes à dessein, au titre du « roman » ou de la prudence politique, il force ses lecteurs à se soucier en détail des Haïtiens d’aujourd’hui, en butte aux pratiques les plus honteuses du capitalisme néo-esclavagiste. L’Énigme du retour était écrit avant que le séisme du 12 janvier n’en rappelle l’actualité. Depuis, Dany Laferrière a confié à la presse ce qu’il a observé alors à Port-au-Prince ou à Pétionville, moins touchée : « Ce qui a sauvé cette ville, c’est l’énergie des plus pauvres. » Venu s’assurer que le peintre et dramaturge Frankétienne était sain et sauf, il le vit bouleversé de voir sa maison fissurée et d’avoir à renoncer à sa dernière pièce de théâtre, qui évoque un tremblement de terre à Port-au-Prince ! « Il m’a dit : ‘On ne peut plus jouer cette pièce’. Je lui ai répondu : ‘Ne laisse pas tomber, c’est la culture qui nous sauvera. Fais ce que tu sais faire’. » Et d’ajouter : « On ne va pas se laisser intimider par un séisme »… Gilles BounoureL’Énigme du retour, Dany Laferrière, Grasset, 18 euros.1. Voir sur ce sujet le film Ghosts of Cité Soleil.