Ceux-là ne voteront pas NPA, ni aucun autre parti. Les Gitans se foutent du lendemain comme d’une guigne. Pour eux, la vie est ce court segment entre le lever du jour et l’achèvement d’une soirée dans une fête éternelle. Leur vie est aussi ce rejet de ceux qui portent le collier du travail, la chaîne des esclaves sédentaires.
Abel contre Caïn ; les Tziganes symbolisent l’opposition originelle entre le nomade et le sédentaire, entre le « voleur », celui qui ne fait que prendre les fruits de la nature et celui qui s’échine à faire pousser, à conserver, à thésauriser. « Ainsi les Kakatos et les Kotlarovec habitaient-ils à la montagne, dans l’ancienne ville de Most. Ils démolissaient les cloisons entre les appartements, afin de ne pas avoir à traverser le couloir pour aller chez les voisins. [...] Ils déversaient leurs déchets par la fenêtre ou dans la cage d’ascenseur, parce que la poubelle n’était pas à côté. »
Voilà le ton de ce roman tchèque qui parle des Tziganes sans pitié ni jugement. Voilà ce qui se passe quand on sédentarise un peuple nomade aux codes éloignés de ceux du cultivateur et du citadin. Ce roman raconte l’histoire d’une famille à Prague et Plzen, celle des Dunka, fuyant les nazis et les Russes, et en particulier les déboires d’un enfant, Andrejko, conduit d’un bagne pour enfant à la prison, devenu épileptique de voir son amour détruit par sa face noire et ses cheveux sombres. « Mais depuis son plus jeune âge il avait tout autre chose de marqué au fer rouge dans sa tête, que la vie commençait et s’achevait par le jour d’aujourd’hui et que se souvenir de la veille et rêver au lendemain ce n’était bon que pour les gadjé. »
On navigue chez les Ruthènes, et la langue romani écrite en alternance du texte se découvre avec beaucoup de plaisir si l’on prend le temps. On s’amuse surtout de cette liberté folle des Tziganes, de leur violence, de leur pauvreté. Le style est celui d’une longue plainte et dans la traduction du tchèque, celui de Christine Laferrière semble forcément remarquable. Christophe Goby
Éditions des Syrtes, 356 pages, 22 euros